Édito

Interdire l’IVG, un signal alarmant

Brouillon auto 389
Manifestation à Los Angeles le samedi 25 juin 2022. KEYSTONE
États-Unis

La Cour suprême, plus haute instance judiciaire des Etats-Unis, a cassé l’arrêt historique «Roe v. Wade», qui reconnaissait en 1973 le droit à l’avortement au niveau fédéral. Il reviendra désormais à chacun des 50 Etats de légiférer. Au total, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) devrait être interdite dans 26 Etats, selon l’institut Guttmacher: l’avortement sera donc illégal ou inaccessible dans plus de la moitié du pays, touchant 33,6 millions de femmes. Les moyennes cachent des disparités: près de 50% de celles qui ont recours à une IVG vivent sous le seuil de pauvreté, et les femmes noires et hispaniques sont surreprésentées (29% et 25% respectivement). Plus de la moitié des Afro-américaines vivent dans ces Etats du Sud qui, en parallèle, réduisent l’expansion de la couverture santé aux populations les plus fragiles.

La régression féodale qui frappe les femmes aux Etats-Unis, brutalement renvoyées cinquante ans en arrière, sert à merveille les desseins d’une minorité suprémaciste blanche, masculine et chrétienne, refermant une brève parenthèse égalitaire qui était allée de pair avec le combat des Noir·es pour leurs droits civiques: le 14e amendement de la Constitution donnait à ces dernier·ères la citoyenneté, la liberté d’aimer et d’épouser quiconque, d’élever leurs enfants et de jouir d’une intimité inviolable par l’Etat. C’est grâce à cet amendement que les militant·es avaient obtenu l’arrêt Roe v. Wade, et la Cour suprême s’y est référée pour l’abroger. En majorité conservateurs depuis la présidence de Donald Trump, les juges ont imposé leur lecture «originaliste» du droit, arguant que la vie privée définie dans le 14e amendement ne faisait pas «référence explicite au droit d’obtenir un avortement».

Mais les fondamentalistes ne s’arrêteront pas à la criminalisation des femmes et de celles et ceux qui les aideront. «Nous devrions revoir toutes les jurisprudences», a déclaré le juge Clarence Thomas, citant trois arrêts qui concernent le droit à la contraception, les lois pénalisant les relations sexuelles entre personnes de même sexe et le mariage gay.

Depuis vendredi, la rue manifeste. Le pays est déchiré. Les démocrates appellent à lutter par les urnes en novembre, pour les élections de mi-mandat. Selon l’institut de recherche Pew, 61% de l’opinion publique est favorable au droit à l’avortement – 80% des démocrates, contre 35% des républicains. Il est temps de se souvenir que s’attaquer au corps des femmes est le premier pas vers d’autres dérives liberticides. Un courant ultraréactionnaire sévit aussi en Europe. Protéger le droit à l’avortement en l’inscrivant dans les Constitutions nationales, voire la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, serait un signal fort pour protéger les citoyen·nes d’autres régressions.

Opinions Édito Anne Pitteloud États-Unis Avortement

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