Et si on coopérait?
Dans nos précédentes chroniques 1>Cf. Le Courrier des 20 avril et 18 mai 2022, nous dénoncions l’insoutenabilité de l’économie capitaliste actuelle et appelions à un changement de système pour permettre l’émergence d’une société écologique et démocratique. Mais abolir l’actionnariat, en quête insatiable de rentabilité financière, semblerait utopiste si on n’y opposait pas une alternative. Si nous cherchons à défaire la propriété privée, il nous faut bien faire quelque chose à la place. Quels sont donc les possibles concrets qui s’ouvrent à nous?
Les coopératives, voilà une première piste à explorer! Contre la révoltante règle d’«une action, une voix», les coopératives appliquent le principe égalitaire d’«une personne, une voix», que personne ne songerait à remettre en cause dans la sphère politique. Le pouvoir de l’argent s’en trouve drastiquement réduit. On ne parle plus d’actionnaires mais de sociétaires: l’entreprise n’est plus un moyen de faire fructifier des actions, mais représente une manière de produire qui répond directement à des besoins réels. Par ailleurs, les parts de l’entreprise qui donnent accès au droit de vote ne sont pas échangeables et ne peuvent donc être revendues (à l’opposé des actions). Dans un monde de coopératives, il n’y a donc ni bourse, ni crise financière globale. Le rapport des sociétaires à l’entreprise est profondément différent. On n’y investit pas pour s’enrichir, mais parce que les activités de l’entreprise semblent faire sens.
Il existe deux formes de coopératives. Premièrement, les coopératives de travail, constituées de personnes souhaitant s’associer pour produire ensemble un bien ou un service. Les membres mettent ensemble leur argent et sont donc tou·tes copropriétaires de l’entreprise. Celle-ci devient une petite démocratie: ce sont les associé·es qui prennent les décisions importantes, comme par exemple les rémunérations, et qui élisent en égaux leur·hiérarchie, si elles ou ils souhaitent en avoir. L’expérience des horloger·ères de Lip dans les années 1970 témoigne du dynamisme de cette forme institutionnelle par un slogan resté dans les mémoires: «C’est possible: on fabrique, on vend, on se paie».
En revanche, une telle organisation ne supprime pas le risque que les personnes travaillant au sein de la coopérative restent fixées sur des objectifs de vente ou de revenu, en mettant au second plan la satisfaction des consommateur·trices et de la société. Pour cette raison, certain·es accusent les coopératives d’agir comme un «capitalisme collectif», car les propriétaires-salarié·es se versent des dividendes.
La seconde forme de coopératives, les coopératives d’usager·es, répond en partie à ce problème. La dynamique est ici inversée: ce sont des consommatrices et les consommateurs qui réunissent leur argent afin de rendre possible la production d’un bien ou d’un service dont ils ou elles ont besoin. C’est ainsi la consommation qui détermine la production, à l’inverse du modèle économique dominant qui voit des entreprises se spécialiser dans le marketing pour faire naître des besoins artificiels. Cela permet de mieux assurer la qualité d’un produit et la satisfaction des consommateur·trices. Ici aussi, ce ne sont pas les exemples qui manquent, à l’image de l’épicerie locale du Vorace à Lausanne, ou Epicoop à Vevey.
En outre, des coopératives plus grandes comme Migros ou Coop montrent bien l’ambiguïté de cette forme juridique. Le vote sur la vente d’alcool dans les magasins Migros illustre son potentiel démocratique. Néanmoins, l’insertion de Migros dans un marché concurrentiel la contraint à s’aligner sur les standards des autres entreprises du secteur. Lorsqu’une coopérative atteint une taille conséquente, elle risque ainsi de se détourner de sa raison d’être initiale.
Ce petit tour d’horizon montre comment le modèle coopératif implique une rupture avec l’économie capitaliste classique. Son fonctionnement introduit la démocratie au sein du collectif de travail et la spéculation y est rendue impossible. Mais si la démocratie est présente dans l’entreprise, elle s’arrête à ses portes, où les lois de la concurrence sont de mise. Le marché étant un piètre régulateur, incapable d’orienter l’économie de manière cohérente, s’ouvre alors la question d’une nécessaire coordination de l’économie dans son ensemble pour qu’une réelle transition écologique se réalise. Quelle forme pourrait donc prendre une démocratie économique qui s’étendrait à toute la société?
Prochain rendez-vous me. 13 juillet.
Notes