C’était sa vie, ça n’a pas duré…
A côté de son slogan détourné, j’aurais voulu dessiner une brunette habillée court, coiffée rebelle, sexy, déterminée, féministe, séduisante dans la provocation, ironique dans la séduction, qui lâche une vanne définitive de philosophie poétique… Mais je suis si mauvais en dessin!
Miss.Tic est partie, victime d’ennemis du féminin et du féminisme: le tabac et le cancer, en résumé le temps…
Depuis trois décennies et la Butte aux Cailles, dans le treizième arrondissement de Paris, elle a inventé le selfie d’avant internet. Elle réalisait, sur les murs et des supports incongrus, des autoportraits qui parlent, à l’opposé des egopromotions muettes des réseaux dits sociaux. Je suis belle, libre et je t’emmerde, toi, le gros macho, lourdingue, sexiste, aliéné et agresseur, aurait pu être sa profession de foi, si elle avait cherché à être élue ailleurs que dans les cœurs. De quoi séduire les filles libérées et les mecs pas trop embrigadés par la phallocratie. Ceux qui échappent à son mortel: «L’homme est un loup pour l’homme et un relou pour la femme.» Du sanctuaire de la Commune de Paris, entourant son atelier, ses pochoirs ont conquis le reste de Paris, puis le monde et l’art contemporain. Depuis la Californie, où elle avait assimilé le street art, jusqu’au Japon, si avide d’innovation. Punk de bon goût et sans violence, elle passait en douceur les critiques les plus dures et les messages les plus forts, sur la vie, la mort, les hommes et les femmes, dans un processus à deux temps: je te séduis et j’en profite pour te porter une estocade… verbale. Un processus connu et efficace dans le dessin de presse et, hélas, dans la pub! Le street art est une réaction méritée à la laideur des villes.
Quand Miss.Tic est sortie du ghetto anarchiste de la Butte aux Cailles vers les quartiers bourgeois de Paris, les plaintes de propriétaires d’horribles murs gris lui ont valu de la garde à vue. Ces crétins ne voyaient même pas que l’œuvre qu’elle leur donnait vaudrait plus cher que leurs murs! Car, même s’il fallait bien vivre et vivre bien, la Miss aimait encore plus donner que vendre. Donner de la vie à un mur mort ou à une palissade qui s’effondre, donner le sourire aux naufragés de la rue et aux victimes des mangeurs de temps, donner un joli briquet aux copain·pine·s, surtout aux anti-tabac! Certains restaurateurs, apprivoisés pour tolérer les outrages à leurs ravalements, ont fini par prêter le meilleur de leurs façades à ses peintures, certificats d’anticonformisme bien vus dans certains quartiers. Mais la Miss, qui ne détestait pas les honneurs mérités, préférait sans doute les interventions clandestines, là où il s’agit de semer le doute chez les brutes qui oppriment les femmes et les peuples.
Ses slogans n’étaient jamais gratuits et portaient le fer contre le sexisme, le machisme, la bourgeoisie et la bêtise humaine. Si elle se voulait d’abord poète et artiste, son combat de fond était politique et social. Ses dessins et ses slogans exaltaient la force des femmes, leur droit à la parole et leurs pouvoirs sous-estimés. En négatif ils attaquaient les religions et leurs contes de fées machistes, qui justifient la domination masculine, ainsi que les politiques en cravates, les militaires et les flics en uniformes qui la maintiennent contre tout bon sens et toute humanité. En donnant à toutes et à tous, dans la rue, ce qu’elle faisait payer – cher! – à certains dans les galeries, Miss.Tic, dans un style presque consensuel, passait avec talent un message fort sur la liberté de pensée et les droits, des humains en général, et des femmes, en particulier. Un message de paix dans un monde dont la beauté croule sous les guerres de la folie humaine. Elle avait la parole, il ne lui manquait que la musique! Mais une longue jeune femme brune, qu’elle aurait pu dessiner, la fait résonner derrière ses œuvres, dans les nuits de la Butte aux Cailles, n’est-ce pas Justine?