Je vous écris aujourd’hui depuis le Congo.

Mon intention n’est pas de jouer sur notre sentiment de culpabilité car ce dernier n’est jamais créatif. Au contraire, il est souvent improductif car il nous pousse plutôt à regarder ailleurs par un réflexe de protection. Non, je vous écris simplement mu par le devoir de témoigner d’une réalité tellement connue, qu’on finit paradoxalement par l’oublier. Alors finalement, après quelques hésitations, je me suis convaincu qu’il valait mieux crier dans le désert de l’indifférence que se taire dans le confort de l’habitude des drames humanitaires.

Le piège de l’information basée sur l’émotionnel événementiel, que ce soit un tremblement de terre ou un conflit armé, est que, lorsqu’on allume un projecteur sur une situation dramatique quelque part, les autres situations tombent dans la nuit de l’actualité, sans disparaître pour autant. L’information n’aime pas la chronicité. C’est pourquoi le but de ce message est simplement de rallumer un petit projecteur afin d’éclairer et de ne pas oublier des drames ordinaires.

Comme je l’ai déjà écrit concernant la Covid, un des effets collatéraux de la pandémie était l’oubli des pathologies chroniques. Ce que je crains aujourd’hui, c’est qu’on oublie la souffrance ordinaire des populations des pays déjà très défavorisés. Il n’est pas dans mes intentions ici de remettre en question la générosité et l’empathie exprimée senvers les victimes ukrainiennes. Je ne tomberai pas dans ce piège, car pour moi il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises victimes. Il n’y a que des victimes, qu’elles soient le résultat de la folie guerrière des hommes, des forces de la nature ou des politiques gouvernementales.

Pour illustrer les effets collatéraux en RDC provoqués par le conflit russo-ukrainien, je citerai deux exemples du quotidien: la famine qui se profile, quand elle n’est pas déjà installée, est concrétisée à Kinshasa par le manque de farine. Les essais de produire du pain avec de la farine de manioc ne sont pas un grand succès. Le deuxième concerne le prix de l’essence dont la pénurie commence à se faire sentir qui, proportionnellement, correspond pour un salaire helvétique de 5000 francs par mois à 20 francs le litre. Je passerai ici sur les bénéfices faramineux et amoraux engrangés par les compagnies pétrolières depuis les débuts du conflit. Et pour paraphraser Pierre Desproges lorsqu’il parlait du cancer, je dirais que «la guerre tue beaucoup de monde, mais qu’est-ce qu’elle en fait vivre».

Pour terminer, je vous parlerai de la souffrance des enfants atteints de pathologies potentiellement mortelles qui n’est pas soulagée, soit par manque de moyens financiers, soit par le non-accès aux antalgiques et à d’autres médicaments. Cette souffrance et celle de leur famille, je les ai rencontrées toute cette semaine et elles me sont devenues insupportables. Ce constat d’impuissance représente pour moi et mes collègues congolais non seulement une immense injustice, mais également le non-respect de la convention onusienne des droits de l’enfant. Mais contre qui pourrais-je porter plainte?

Je suis conscient que cette lettre ne changera rien à la situation, mais je me devais de l’écrire simplement au nom de mes amis congolais qui travaillent dans le domaine de la santé et qui sont conscients qu’ils ne feront pas l’actualité, à moins d’un événement dramatique et médiatique. Comme l’avait déclaré un haut fonctionnaire onusien, il y a quelques années, au sujet d’Haïti: «La RDC est en situation d’urgence humanitaire permanente.»

Ne les oublions pas et, comme on dit à Kinshasa, «on est ensemble».