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L’égalité passe par des crèches abordables

«L’indépendance financière des femmes nécessite des conditions-cadres pour l’accueil des enfants.» La nouvelle loi proposée par la Commission science, éducation et culture du Conseil national constitue un pas important, mais ne suffit pas, estime l’USS. La faîtière syndicale fait partie des promoteurs de l’initiative «Pour un accueil extrafamilial des enfants de qualité et abordable pour tous».
Suisse

Le 29 avril dernier, la Commission science, éducation et culture du Conseil national (CSES-N) a décidé par 18 voix contre 7 qu’à l’avenir, la Confédération prendrait à sa charge jusqu’à un cinquième des frais d’accueil extrafamilial et parascolaire des enfants afin de réduire les coûts assumés par les parents. En tant que financement axé sur la personne, la contribution de la Confédération sera versée directement aux familles. En outre, la Confédération participera au développement futur de l’accueil extrafamilial et de l’accompagnement précoce via des conventions-programmes avec les cantons.

A travers ces décisions, la CSES-N veut mettre en œuvre l’initiative parlementaire 21.403 «Remplacer le financement de départ par une solution adaptée aux réalités actuelles» qu’elle a déposée en février 2021, grâce à la ténacité de l’USS. Ce faisant, elle met fin à la tactique du salami qui avait régné jusque-là en matière d’aides financières de la Confédération dans ce domaine.

Depuis 2003, le parlement n’avait en effet accordé ces aides que pour quelques années, les prolongeant à chaque fois. Désormais, la contribution fédérale à la réduction des coûts parentaux doit devenir pérenne et des bases légales permanentes seront également créées pour les conventions-programmes.

Le projet de loi de la commission constitue un changement de paradigme. Jusque-là, la Confédération et les politicien·nes de droite avaient estimé que le financement de l’accueil extrafamilial et parascolaire relevait des cantons. Avec la nouvelle loi, cette compétence passe en partie au plan national. Et cela s’impose de toute urgence pour remplacer par des normes uniformes l’actuelle mosaïque que constituent, d’un canton à l’autre, les différents barèmes parentaux, la densité de l’offre et la qualité de la prise en charge.

Dans les cantons connaissant une offre quantitative et qualitative insuffisante ou qui pratiquent des barèmes élevés, trop de familles sont encore contraintes d’organiser l’accueil de leurs enfants de manière privée. Si personne parmi les proches ne peut/veut intervenir, la mère – dans la majorité des cas – réduit ou renonce à son activité professionnelle pour se consacrer au travail familial. Les femmes prennent ainsi un grand risque financier: leur revenu est, ou sera, inférieur d’environ 40% à celui des hommes, tant en âge d’exercer une activité lucrative qu’une fois à la retraite.

Ce printemps, un arrêt du TF a remis en question la contribution d’entretien versée aux mères après un divorce, renforçant très fortement leur risque de basculer dans la pauvreté. Après un divorce, la personne ayant renoncé pendant son mariage à une carrière professionnelle pour se consacrer au travail ménager et familial ne peut plus forcément espérer toucher une contribution d’entretien. Avec cet arrêt, le TF se base sur une situation idéale, dans laquelle travail rémunéré et travail non rémunéré seraient équitablement répartis en deux parts égales, mais pas sur la réalité.

Ainsi, l’accord conclu par un couple, selon lequel lui est responsable du revenu familial alors qu’elle s’occupe de manière non rémunérée des enfants et du ménage, ne serait tout à coup plus valable après un divorce. Pour la femme, cela signifie qu’en plus du travail familial non rémunéré – qui continue –, elle devra reprendre du jour au lendemain une activité rémunérée, alors que ses chances sur le marché de l’emploi sont sérieusement diminuées.

Cet arrêt du TF devrait faire comprendre aux conservateurs incurables que l’accueil extrafamilial et parascolaire n’est pas une affaire privée, mais incombe à toute la société. Car pour réduire le risque de tomber dans la pauvreté après un divorce, il ne suffit pas de trouver un emploi aussi rapidement que possible. Les femmes doivent au contraire rester financièrement indépendantes déjà pendant le mariage. Pour que ce soit possible, il faut certaines conditions-cadres, dont celle, impérative, de l’existence de structures d’accueil de qualité. Cela sous la forme d’un service public abordable, adapté aux besoins et mis à la disposition de toutes les familles.

La nouvelle loi proposée par la CSEC-N constitue une contribution importante à la mise en place de ces conditions-cadres. Mais cela ne suffit pas: malgré la contribution fédérale, la part payée par les parents en Suisse restera parmi les plus élevées d’Europe. Et la commission rate avec son projet l’occasion d’améliorer durablement les conditions de travail et les salaires dans les structures d’accueil. En effet, si les contributions fédérales vont directement aux parents et non aux cantons, elles peuvent difficilement être liées à des critères conduisant à des améliorations des conditions de travail.

Afin d’améliorer durablement l’offre de structures d’accueil dans toute la Suisse, l’USS a lancé, avec le Parti socialiste et d’autres partenaires, l’initiative sur les crèches lors de la Journée internationale des femmes. Cette initiative ancre dans la Constitution fédérale un droit pour tous les enfants à une place d’accueil, y compris ceux qui ont un besoin accru d’assistance, par exemple en raison d’un handicap. Si la Confédération devra supporter deux tiers des coûts, les parents devront par contre consacrer au maximum 10% du revenu familial à l’accueil de leurs enfants. Et surtout, l’initiative prévoit des conditions de travail et des salaires correspondant à la valeur et la responsabilité que représente cette activité. La loi proposée par la CSEC-N est le début d’une politique familiale nationale moderne. Avec l’initiative sur les crèches, les choses doivent avancer.

Regula Bühlmann est la secrétaire centrale de l’Union syndicale suisse (USS).

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