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Gauche française: les éléphants barrissent, l’accord passe…

L’IMPOLIGRAPHE

Le «parlement» du Parti socialiste français a approuvé à une large majorité l’accord de coalition passé avec la France insoumise, mais aussi le Parti communiste et les Verts, pour les élections législatives de juin. Il y a donc là une alliance électorale, avec des listes uniques de gauche (sauf le Nouveau parti anticapitaliste/NPA et Lutte ouvrière) face aux listes de droite, d’extrême-droite et, surtout, de l’alliance macronienne. Le PS et la France insoumise donnent d’ailleurs à leur accord l’objectif d’«empêcher Emmanuel Macron de poursuivre sa politique injuste et brutale et battre l’extrême-droite». C’est peu comme programme, cela suffit comme accord.

Il aura tout de même fallu cinq ans pour y arriver, à cet accord: sans doute cinq ans de perdus, mais après tout, mieux vaut tard que jamais. Cet accord se fait autour de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise? Il ne pouvait pas se faire autour de quelqu’un d’autre (il ne lui a manqué que 400’000 voix pour se retrouver à la place de Marine Le Pen au deuxième tour de la présidentielle), ni d’aucune autre force: c’est toujours le plus fort qui coalise autour de lui. L’union de la gauche qui amène Mitterrand et le PS au pouvoir se fait autour du PS, sur un programme socialiste, et avant lui un programme commun de gouvernement avec les communistes (et les radicaux de gauche) bien plus «gauchistes» que celui de Méluche – il ne propose pas, lui, avec l’accord passé entre Insoumis, socialistes, communistes et Verts, de nationaliser les groupes industriels, le crédit (les grandes banques) et les assurances. Et si la gauche propose aujourd’hui de maintenir l’âge de la retraite à 60 ans, c’était déjà ce que proposait le PS en 1981, avec même le droit à la retraite à 55 ans pour les femmes…

Qu’on cesse donc de nous faire prendre des vessies réformistes pour des lanternes révolutionnaires. Les éléphants du PS (Hollande, Cambadélis, Cazeneuve – qui vient d’ailleurs de quitter le parti) barrissent à contretemps quand ils dénoncent le programme d’aujourd’hui en oubliant que celui d’hier était bien plus radical. Faut arrêter de déconner, les gars: le programme de la France insoumise, et moins encore celui de la «Nouvelle unité populaire écologique et sociale», ce n’est pas le programme spartakiste, c’est un programme social-démocrate de gauche, et qui pourrait être un programme socialiste si le PS français était encore en état d’avoir un programme. Mélenchon, ancien sénateur socialiste, ancien ministre socialiste, ce n’est pas l’extrême-gauche. Seulement la gauche.

Aux commentateurs atterrés et aux socialistes opposés à l’accord avec la France insoumise qui couinent que le PS a «perdu son âme», il est finalement assez tentant de répondre que pour trahir son âme, il faudrait qu’il en reste encore une qui ne l’aurait pas déjà été par nombre de ceux qui dénoncent les «infidèles». Quelle serait-elle, cette «âme» socialiste trahie? La «culture de gouvernement» (expression qui tient tout de même un peu de l’oxymore)? Ça ne serait pas elle, au fait, qui aurait tiré le parti vers le fond?

La Nouvelle unité populaire française se paie de mots dans son titre: ce n’est ni le programme commun de 1972 ni la gauche plurielle de 1997, moins encore le Front populaire de 1936: c’est une alliance électorale. Rien de plus que le possible, rien de moins que le nécessaire. Mais il aura fallu une défaite de la gauche, toute la gauche, pour que sa part la moins défaite (la France insoumise) puisse imposer une alliance – pas une unité – qui tient pour le PS, le PC et les Verts du sauvetage de meubles, et ne donnera sans doute pas une majorité de gauche à l’assemblée nationale, ni ne fera de Mélenchon le Premier ministre de Macron (tient-il seulement à l’être?), mais fera peut-être de la France insoumise le premier groupe d’opposition à la macronie parlementaire.

La recomposition de la gauche française se fera sur fond de défaite électorale – s’est-elle jamais faite en d’autres circonstances? Mitterrand ne recompose le PS (et la gauche) à sa main que sur les ruines de la vieille SFIO, quand le PC dominait la gauche française et que son candidat à la présidentielle de 1969, Jacques Duclos, obtenait quatre fois plus de suffrages que celui du PS-SFIO, Gaston Defferre… Et Jospin n’invente la «gauche plurielle» qu’après avoir été défait à la présidentielle par Chirac. Il y a des baffes qui réaniment, même quand on a fait à peu près tout ce qu’on pouvait faire pour se les prendre. Le PS né du congrès d’Epinay était, sous la forme d’une grande coalition de toutes les gauches non communistes, un vaste rassemblement des contraires – d’où le culte de la «synthèse» qui s’y célébra pendant quarante ans. De choix désormais, ce qui reste du PS français n’en a plus guère que ceux, exclusifs l’un de l’autre, de la recomposition ou de la décomposition.

Cette clarification est sans doute le seul legs positif de François Hollande: le PS français doit complètement se construire et redéfinir sa ligne. Ou disparaître. Qu’un autre parti socialiste (mais alors, vraiment socialiste) puisse naître de cette disparition tient du possible. On ne prendra pas le deuil du parti qui est en train de mourir sous nos yeux désespérément vides de larmes – fussent-elles de crocodiles. Ou d’éléphants.

Pascal Holenweg est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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