Le mot du traducteur Christian Viredaz
Présentant les poèmes de Lia Galli, Christian Viredaz en éclaire les filiations. D’Edgar Lee Masters à Alberto Nessi s’ouvre un riche réseau de sens et d’images.
Le poème qui donne son titre au recueil commence par ces vers :
on ne meurt plus pour un baiser,
pas même à Spoon River.
Lia Galli déclare ainsi ouvertement, pour qui ne l’aurait pas encore saisi, la source d’inspiration de ce recueil choral où se confient des êtres éprouvés par la vie mais qui tous gardent espoir : la Spoon River Anthology (1916) du poète américain Edgar Lee Masters (1868-1950), un recueil d’épitaphes, qui sont en même temps des épigrammes, gravées sur les pierres du cimetière du village imaginaire de Spoon River. Dans chacune de ces 243 pièces composées en 1914-1915, un personnage fait en quelque sorte le bilan de la vie, l’ensemble racontant les vicissitudes de la vie humaine à travers celles es habitants d’un microcosme campagnard. L’ouvrage a eu un succès considérable aux États-Unis d’abord, puis, à partir des années 1940, en Italie, sous l’impulsion de Cesare Pavese, qui le fit découvrir notamment à Fernando Pivano, laquelle en publia une première traduction en 1943, ce qui lui valut d’ailleurs de connaître la prison, le régime fasciste interdisant alors la littérature américaine. Depuis lors, il en est paru une bonne douzaine d’autres versions[1].
Il est permis d’imaginer que La Couleur de la mauve[2] d’Alberto Nessi a pu servir en quelque sorte d’intermédiaire, la deuxième section de ce recueil, intitulée « Gens d’ici », étant elle aussi directement inspirée de l’œuvre phare d’Edgar Lee Masters. Mais si ce dernier prêtait sa voix aux morts, Nessi a fait le choix de faire parler les vivants. Certes bien moins nombreux. ses poèmes, tout comme ceux de Lia Galli, touchent par la profonde humanité qui en émane. Chez cette dernière, on entend aussi résonner la musique de toute une époque, de l’Alabama Song chanté par les Doors aux Strawberry Fields des Beatles, mais aussi le Howl d’Allen Ginsberg et le On the Road de Kerouac – et on se frotte ici les yeux : mais oui, le clochard céleste aurait 100 ans cette année… Viennent aussi s’y mêler les échos des lectures de cette génération : et c’est ainsi que Baudelaire et Nietzsche côtoient parmi d’autres, en toute simplicité, l’antique Sappho.
Ajoutons, pour conclure en entrouvrant une autre porte, que Lee Masters s’était inspiré quant à lui de l’Élégie écrite dans un cimetière de campagne (1751) de Thomas Gray et des épigrammes grecques de l’Anthologie palatine compilée dans la Byzance du Xe siècle…
[1] Les traductions françaises sont elles aussi plusieurs, de celle de Michel Pétris et Kenneth White (Champ libre, 1976) à celle de Patrick Reumaux, parue fin 2021 aux Belles Lettres sous le titre Des voix sous les pierres.
[2] Alberto Nessi, La Couleur de la mauve / Il colore della malva, traduit de l’italien par C. Viredaz et J.-B. Para, Empreintes, 1996).
Christian Viredaz