Chroniques

Nouvelle embuscade contre l’égalité

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Alors que, depuis quelques mois, nombre de rédactions (et quelques supports publicitaires) ont adopté des formes d’écriture du moins épicènes, si ce n’est rendant compte des identités non binaires, une directive de la Chancellerie fédérale portant sur les documents en français publiés par les autorités, adoptée en novembre 2021, illustre une fois de plus le retour de bâton contre l’égalité.

Le document «Pratiques d’écriture alternatives dans les textes de la Confédération en français» porte sur les actions permettant au plus grand nombre de personnes de se sentir concernées par un texte écrit. Dans cette directive longue de plusieurs pages, la Confédération se positionne contre «les pratiques d’écriture alternatives» telles qu’«astérisques et autres signes typographiques de marquage ou de démarquage du genre». Voilà qui est clair.

Est-ce un feu de paille? C’est ce que certain·es diront ou penseront. Mais le diable se cache dans le détail. Car au-delà d’une réaction contre les revendications LGBTIQ+, la directive remet en cause la rédaction égalitaire. En se focalisant sur les pratiques visibilisant les personnes qui ne se reconnaissent pas dans l’identité féminine ou masculine, la Chancellerie, dans sa composante francophone, règle le compte à tout le monde, de manière insidieuse bien entendu. Car elle ne peut pas jeter au feu les ouvrages et les guides sur la rédaction non sexiste. Si les termes épicènes sont conseillés, le féminin n’est pas de mise. En effet, la directive prône à la page 2 l’utilisation «de préférence et selon les cas des termes épicènes ou collectifs et [le respect du] principe de l’économie de la langue: en français, le masculin pluriel peut designer des ensembles mixtes (des femmes, des hommes ou des personnes dont on ne connait pas le genre). D’une manière générale, l’évolution du français favorise les formes non marquées.»

Décidément, il y a un problème. Même sous la Coupole fédérale, les combats réactionnaires portés par les défenseurs (allez, puisqu’ils y tiennent, on va l’écrire au masculin universel!) de la langue française ont réussi à faire croire à ce masculin générique. C’est d’autant plus surprenant dans un pays où les textes allemands font référence. Car que lit-on dans le document en allemand adopté en juin 2021?1>«Umgang mit dem Genderstern und ähnlichen Schreibweisen in deutschsprachigen Texten des Bundes». «Das generische Maskulinum (Bürger) ist nicht zulässig», soit: le masculin générique n’est pas – soulignons le «pas» – autorisé.

On aurait pu penser que le document en français serait resté sans effet; après tout, ce n’est qu’une directive! Mais les relais ne se sont pas fait attendre dans les travées de droite des parlements. Si ces groupes politiques n’osaient plus trop lever la voix sur ce dossier depuis la grève féministe de 2019, on sentait bien quelques frémissements dans les tribunes d’opinions publiées dans la presse écrite.

Ces dernières semaines, comme les pâquerettes au printemps, les interventions parlementaires ont fleuri dans certains législatifs communaux ou cantonaux. Se sentant légitimé·es par la Confédération, se présentant comme les seul·es défenseurs et défenseuses de la langue française, des membres des partis de droite demandent aux autorités communales ou cantonales d’assurer l’accès le plus large de la population au français, cette langue dont l’oralité vient éprouver l’écriture depuis des lustres. Tout argument est bon pour assurer cette accessibilité: sont appelées à la rescousse les personnes allophones, celles qui ne maîtrisent pas suffisamment ou ne maîtrisent plus la lecture, les personnes avec des handicaps sensoriels. Il aura donc fallu attendre 2021 pour que la droite se préoccupe des difficultés du français pour de nombreuses personnes vivant dans les cantons francophones. Mieux vaut tard que jamais.

Cette instrumentalisation de la droite en met une autre en lumière: celle de la Chancellerie fédérale elle-même. En effet, soucieuse «du fait que les personnes qui ne se reconnaissent pas dans l’identité de genre masculine ou féminine n’ont pas la même visibilité que les femmes et les hommes dans une langue qui ne connaît que deux genres», elle a tout simplement tranché pour n’en garder qu’un.

Relevons in fine le décalage de cette réaction d’arrière-garde par rapport à l’évolution de la langue et aux pratiques déjà en vigueur dans les médias, la publicité ou la rue. En effet, la génération dite «Z», bien présente dans les mobilisations depuis quelques années, ne fait que le rappeler. En matière de langue, l’avenir ne comptera pas qu’avec le masculin!

Notes[+]

Miso et Maso sont investigatrices en études genre.

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