Chroniques

Vive la Commune!

L'Impoligraphe

On devrait peut-être, ici, aujourd’hui, vous gratifier de nos états d’âme à propos des présidentielles françaises… mais non, on va vous causer de la répartition des compétences entre le canton et les communes. Une sorte de version politique du «penser global, agir local». Enthousiasmant, non?

Or donc, la répartition des compétences entre le canton et les communes dans le canton le plus centralisé de Suisse – celui du bout du lac, donc – est un des enjeux les plus importants de la législature. Et on a proposé au PS genevois d’intégrer dans son programme l’exigence d’inverser la logique actuelle de la «subsidiarité à la genevoise» – qui part du haut et ne confie aux communes que les compétences que le canton condescend à leur confier – pour la remettre sur ses pieds (comme le camarade Marx le disait de la philosophie) et la faire partir de la commune, en lui confiant a priori toute compétence publique qu’elle est capable d’assumer seule ou en commun avec d’autres. Notre proposition a été acceptée. Elle sera dans le programme du PS pour les cinq ans à venir. On en est bien content, même s’il il a fallu qu’on se lève quasiment à l’aube pour ça. Faudrait pas que ça devienne une habitude.

Résumons: Genève est, de tous les cantons suisses, celui qui accorde le moins de compétences aux communes qui le composent, si l’on fait exception du cas particulier de Bâle-Ville – si particulier d’ailleurs qu’on y a pratiquement fait d’une commune un (demi-)canton. Cette situation genevoise est certes le fait d’un héritage historique (l’ancienne République ne connaissait pas de commune, il n’y a de communes genevoises que par le fait du régime français. Et, à la restauration de l’ancien régime, la vieille aristocratie revenue au pouvoir dans les fourgons de la Sainte-Alliance avait trouvé le moyen de supprimer la commune de Genève, qui ne fut rétablie que par la révolution radicale trente ans plus tard). Elle est aussi le fait d’un choix politique des majorités de droite qui, à de rares et brèves périodes près, ont gouverné le canton depuis un siècle et demi.

Les villes genevoises sont des nains politiques, avec un petit quart des compétences de leurs voisines vaudoises. Il en découle un déficit démocratique considérable, dans un canton où les communes sont le seul espace politique dans lequel la majorité de la population peut disposer du droit de vote et d’élection, puisque le seul dans lequel la population étrangère résidente en dispose.

Or, le canton ne considère cet espace politique que comme une courroie de transmission et d’exécution de ses propres décisions, en faisant de plus en plus souvent assumer aux communes les charges financières de ce statut supplétif. Si les plus petites communes peuvent se satisfaire de cette situation (quoique toutes ne s’en satisfont pas). Elle est particulièrement absurde s’agissant des villes, qui concentrent tout de même plus des trois quarts de la population du canton, et qui ont à assumer, parce qu’elles en concentrent les effets, les enjeux sociaux, culturels, sportifs, sécuritaires, environnementaux, urbanistiques, sans que la structure institutionnelle leur en donne les moyens et les compétences légales.

Les deux tiers de la population du canton vivent dans une ville de gauche – une ville où la gauche dispose des trois majorités qui lui seraient nécessaires pour mener une politique de gauche sur les enjeux essentiels: la majorité populaire (dans la plupart des votations municipales), la majorité parlementaire (au Conseil municipal), la majorité gouvernementale (au Conseil administratif). Mais cette politique de gauche sur des enjeux essentiels, la gauche ne peut pas la mener parce que, sur ces enjeux, la commune où elle est majoritaire n’a que des compétences résiduelles, accessoires, subsidiaires.

Nous nous privons ainsi des moyens de faire ce que nous disons vouloir faire et que nous sommes élu·es pour faire. Les villes genevoises sont des nabots politiques, et du coup, même quand la gauche y est majoritaire, elle est aussi un nain. Il serait bon qu’elle ne s’en satisfasse pas.

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg L'Impoligraphe

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lundi 8 janvier 2018

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