Le voile de l’aliénation
Entre hallucination et réalité, l’histoire de Leni est celle d’une femme brisée par les traumatismes de son passé. Mariée à Ivan et vivant dans le paisible quartier berlinois de Steglitz, la jeune femme passe ses journées à se promener sans but, la cadence dictée par les quelques tâches quotidiennes qu’elle remplit sans intérêt. Leni vit sans passion, sans véritable objectif, et cette situation s’avère parfaitement lui convenir. Pourtant, tout bascule le jour où son frère lui annonce qu’Ivan, parti en voyage d’affaires, ne souhaite plus la revoir à son retour. C’est dans une angoisse assourdissante et une profonde solitude que Leni se détache définitivement du monde sensible pour plonger dans les méandres de son intériorité.
Dans Steglitz, deuxième roman d’Inès Bayard après Malheur du bas (Albin Michel, 2018), le gouffre de la folie guette à chaque page. Le personnage évolue dans une intrigue flottante qui nous enveloppe dans un voile, l’emprisonnant dans un état psychologique second: «Son crâne la faisait souffrir. Il s’y passait des choses qu’elle n’arrivait pas à comprendre. L’existence qu’elle menait ne présentait aucun choix réel. C’était comme si sa volonté se trouvait sans cesse perturbée pour des raisons inconnues, sans qu’elle-même arrive à s’en inquiéter sérieusement. C’était cela le pire. Un perpétuel état de sidération court-circuitant ses décisions.» On en sort désemparé et sans repère.
Inès Bayard, Steglitz, Albin Michel, 2022, 217 pp.