Dissolution par procuration
«Je ne parviens pas à me rappeler comment c’était arrivé, mais, à un moment donné de ma vie, je me retrouvais à l’intérieur d’un labyrinthe. Personne ne m’avait obligé à y entrer, personne ne m’avait conseillé de le faire et on ne m’avait pas aidé à l’éviter.» Perdu dans les dédales des tractations immobilières, des séparations et de sa belle villa vide, un homme d’affaires athénien cherche à se délester du poids de son quotidien afin de remettre de l’ordre dans sa vie. Narrateur d’Un Grand Serviteur, il nous raconte son histoire à la première personne, dans un fin mélange d’actions impulsives et de réactions asthéniques.
Son grand serviteur, il le trouve en Marios, son employé de maison infatigable aux talents multiples et à l’esprit calme qui, en plus de sa pleine dévotion à son maître, entretient avec lui une «ressemblance qui ne pouvait échapper à aucun observateur». Un parfait alter ego – à tel point que le narrateur, dans sa quête de liberté, en profitera pour lui déléguer petit à petit des pans entiers de sa vie, jusqu’à faire de lui un véritable autre moi. Que restera-t-il d’eux?
Avec une fluidité renversante, Dimitri Sotakis révèle dans la noyade psychique de son narrateur l’absurdité de la quête de liberté sur les terres de Platon, à l’ère de la crise financière, des sites de rencontres et de la dépression. Une quête qui prend l’allure d’un labyrinthe aussi moderne qu’antique. Les murs de brouhaha d’Athènes, la myriade de célibataires sur Cosmos et les écrans de télévision ne font que se surajouter à l’édifice de Dédale, qui, en fin de compte, n’a pas changé d’un iota: la vie est un labyrinthe à une seule issue.
Dimitri Sotakis, Un Grand Serviteur, traduit du grec par Françoise Bienfait, Ed. Intervalles, 2022, 210 pp.