Régime d’exception
Notre sourire narquois fut de courte durée. A l’orée de l’épidémie de SRAS-Cov2, alors que la Chine organisait un contrôle sanitaire d’une rare brutalité, peu, dans les vieilles démocraties occidentales, s’imaginaient autoritairement mis en quarantaine et surveillés dans leurs moindres déplacements. Et pourtant! Certes, contrairement à Pékin, ni Londres ni Berlin n’imposèrent de bracelets électroniques aux citoyens, ni ne prirent automatiquement la température des livreurs de pizza pour rassurer les consommateurs sourcilleux. Mais, le génie bureaucratique de la France se distingua par l’obligation de présenter une «attestation de déplacement dérogatoire» qui conduisit des policiers à verbaliser des personnes sans domicile fixe pourtant bien forcées de se trouver hors de chez elles…
Ces débordements, justifiés par la peur de contracter une maladie grave et parfois mortelle, traduisent aussi ce que l’académicien François Sureau nomme le «fléchissement de l’intelligence et de la volonté qui nous fait consentir à toutes les platitudes». Avant d’ajouter: «Et l’on s’en va répétant que les temps sont difficiles. Mais les temps (…) sont toujours difficiles pour ceux qui n’aiment pas la liberté.»1>Discours de réception à l’Académie française du 4 mars 2022, Le Monde, 5 mars 2022. La dernière livraison de Manière de voir2>«Feu sur les libertés», Manière de voir n° 182, avril-mai 2022, bimestriel édité par Le Monde diplomatique. dresse un bilan de l’érosion silencieuse des libertés publiques en France et en Occident. D’un état d’urgence à l’autre, les impératifs de sécurité conduisent souvent à pérenniser les régimes d’exception, comme le démontre le premier chapitre au titre presque programmatique: «Tous les prétextes sont bons».
Les nouvelles technologies jouent un rôle considérable dans la corrosion qui affecte les droits fondamentaux. Sous les motifs les plus divers, et toujours pour le bien des populations, on multiplie les fichiers – que les services de police ou de renseignement peuvent croiser moyennant quelques formalités –, on recourt à des drones pour surveiller les manifestant·es, on quadrille les voies publiques de policiers et de caméras, etc. Une affiche, présentant la toile des fichiers qui enserre le citoyen complète ce Manière de voir. Elle est disponible sur le site du Monde diplomatique. Le deuxième chapitre montre que les contrôles que devraient effectuer les juges ou des instances de régulation sur l’usage croissant des technologies de surveillance perdent progressivement en efficacité.
Mais, le bilan de l’érosion des libertés publiques – de manifestation, d’expression, d’aller et venir, etc. – ne va pas sans résistances. Le troisième chapitre révèle les contradictions qui traversent les mondes de la justice et la police, mais aussi les résistances issues du mouvement associatif ou syndical, de collectifs d’avocats, ou de simples citoyen·nes.
Notes