«Vladimir Poutine, tueur de masse»
C’était le dernier jour de février et le premier jour de la session de printemps du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève. Une journée grise. Une bise glaciale s’engouffrait à travers les branches des arbres majestueux du parc du Palais des Nations.
Traditionnellement, la session de printemps du Conseil des droits de l’homme commence par une «séquence de haut niveau», avec les discours des chefs de gouvernement et des ministres des Affaires étrangères. Le premier orateur à s’exprimer ce jour-là était le ministre suisse des Affaires étrangères, représentant le pays hôte. Il a été suivi par le Secrétaire général de l’ONU.
António Guterres s’est approché du pupitre. Il a lu son discours pendant six minutes. Puis, soudain, il s’est tu et a mis ses papiers de côté. D’une voix tremblante d’émotion, il a lancé: «Président Poutine, Donnez une chance à la paix. Trop de gens sont déjà morts. Au nom de l’humanité, ramenez vos troupes en Russie. Ce conflit doit cesser maintenant.»
Je connais bien António Guterres. Il a vécu dix ans à Genève lorsqu’il était Haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés. Il est une des personnes les plus réfléchies, les plus maîtresses d’elles que je connaisse. Je ne l’avais jamais vu aussi désespéré.
L’ONU a été fondée en juin 1945 à San Francisco par les 43 puissances sorties victorieuses de la Seconde Guerre mondiale. 1> Etait invité à San Francisco tout Etat ayant déclaré la guerre à l’Allemagne nazie et/ou au Japon avant le 8 mai 1945.
Son objectif était, et reste, triple: assurer les droits humains, protéger les populations les plus faibles et garantir la paix mondiale par un système de sécurité collective.
Le chapitre 7 de sa Charte définit les instruments qui doivent garantir la paix mondiale: l’armée internationale des casques bleus; les sanctions radicales, politiques, financières et sociales qui doivent contraindre collectivement un agresseur à respecter le droit international.
Le 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. Elle est membre de l’ONU. Poutine est un meurtrier de masse. Les crimes horribles qu’il a perpétrés lors des deux guerres de Tchétchénie en 1994-1996 et 1999-2000 et en Syrie depuis 2015, il les met en œuvre aujourd’hui en Ukraine: l’assassinat de milliers de civils, le bombardement d’hôpitaux, de boulangeries, d’écoles, d’édifices culturels, la destruction de quartiers entiers. Et l’ONU est paralysée en raison du pouvoir de veto russe au Conseil de sécurité.
Je rappelle qu’en Tchétchénie – 1 million d’habitants –, Poutine a fait assassiner 200 000 êtres humains, et en Syrie, à Alep, dans la Ghouta orientale, et à Deraa, plusieurs centaines de milliers. En 2022, il poursuit ses massacres à Idlib.
En Ukraine, conséquence du droit de veto russe, on ne trouve pas un seul casque bleu sur une quelconque ligne de cessez-le-feu négociée, pas de corridors humanitaires sous contrôle international, pas d’interdiction de vols militaires au-dessus des quartiers résidentiels. Aucun des nombreux instruments visant à garantir la sécurité collective – et donc la paix mondiale – ne peut être appliqué par la communauté internationale.
Kofi Annan a quitté ses fonctions de Secrétaire général de l’ONU en 2006. Il a laissé en guise de testament politique un plan de réforme du Conseil de sécurité de l’ONU: à l’avenir, aucun de ses cinq membres permanents ne devrait être en mesure d’opposer son veto à l’intervention de l’ONU lors de conflits au cours desquels sont commis des crimes contre l’humanité.
Les cinq Etats membres permanents du Conseil de sécurité ont rejeté le plan de Kofi Annan.
Où est l’espoir? Dans l’insurrection des consciences des peuples des Nations unies, dans leur volonté d’imposer à leurs gouvernements respectifs la réforme radicale du Conseil de sécurité.
* Ancien Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation; auteur du livre Le capitalisme expliqué à ma petite-fille, en espérant qu’elle en verra la fin, Seuil, 2018.
Notes