Privilégier le soin aux autres et à la planète
Alors que la transition écologique se pense surtout en termes d’innovations technologiques, le mouvement écoféministe – qui lie l’exploitation du corps des femmes et l’exploitation de la nature – contribue à apporter un autre regard, en mettant le care (le soin) et le bien-être au centre. «Les féministes ont longtemps défendu que l’invisibilisation du travail reproductif, dont la société dépend pour fonctionner, est injuste. Les écoféministes ont étendu le raisonnement à notre dépendance à l’écosystème. Il n’y aura pas de transition juste possible si la société ne donne pas de valeur à ce qui rend la vie possible», souligne Miriam Tola, professeure assistante à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’université de Lausanne et spécialiste de l’écoféminisme.
«Il est important que le care ne soit pas considéré comme spécifique aux femmes» Miriam Tola
Beaucoup de luttes écologiques ont historiquement été portées par des femmes. «Souvent elles ne se sont pas définies comme écoféministes en tant que telles mais leurs contributions sont centrales», explique Miriam Tola. Aux Etats-Unis, à la suite d’un accident nucléaire à la centrale de Three Mile Island en 1979, des militantes ont fondé le mouvement «Women and life on earth». Deux ans avant, au Kenya, des femmes créaient le Green Belt Movement (mouvement de la ceinture verte) pour lutter contre la déforestation et garantir leurs moyens de subsistance. Les féministes indigènes au Guatemala articulent la défense de leur corps et celle de la terre, dans un contexte de multiples oppressions et de traumatismes historiques. Des groupes féministes en France, comme Le front de mer dans la banlieue de Paris, luttent pour une justice de genre, raciale et environnementale.
«L’écoféminisme est pluriel. Certains courants essentialisent les relations entre les êtres humains et la nature, mais on voit surtout aujourd’hui des activistes qui utilisent l’écoféministe de manière très pragmatique. Ils s’appuient sur une critique politique d’une économie basée sur la croissance. En Suisse, nous l’avons vu par exemple avec le groupe écoféministe en soutien à la ZAD de la colline», poursuit la chercheuse.
La critique politique s’inscrit dans un contexte où la transition écologique est pensée sans remettre en cause la croissance. En se focalisant sur l’innovation technique, les politiques de transition manquent leur cible. «En 2018, la production d’énergie renouvelable a augmenté de 17% par rapport aux dix dernières années. Mais au lieu de remplacer l’énergie fossile, ces nouvelles sources s’y ajoutent, vu que la consommation n’arrête pas d’augmenter», indique Miriam Tola. Pour les écoféministes, le passage à une économie basée sur le bien-être doit s’accompagner d’une lutte contre les inégalités de genre, mais aussi de race et de classe.
Cela passe par une revalorisation des activités essentielles et du travail reproductif. «Production et préparation de nourriture, soins aux enfants et aux personnes âgées ont été assurés historiquement par des femmes et sont de plus en plus confiés à des migrantes et des femmes racisées», relève la chercheuse. La pandémie a exacerbé les conséquences de cette dévalorisation du travail du care. Les soignant·es ont été surchargé·es, des travailleuses domestiques ont perdu leur job et ont été exclu·es des fonds d’aide gouvernementale. Dans plusieurs pays dont les Etats-Unis, où les écoles ont fermé pendant de longs mois, des femmes ont quitté le monde du travail pour prendre en charge leurs enfants.
La chercheuse plaide pour un renforcement des services sociaux, d’éducation et de soins et une redistribution du travail reproductif entre les genres. «Il est important que le care ne soit pas considéré comme spécifique aux femmes. Une manière intéressante d’y parvenir est la réduction du temps de travail.» Cela permettrait selon elle de prendre soins des êtres humains mais aussi de la planète. Elle propose de l’accompagner par une revalorisation d’autres métiers essentiels et dévalorisés, comme le nettoyage des rues ou la gestion des déchets.