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Communautés locales contre projets éoliens

Quand l’énergie verte suscite la révolte… Eva Betavatzi, architecte et militante du CADTM Belgique, revient sur les luttes contre l’implantation d’éoliennes menées dans divers pays. Selon elle, «le monde productiviste, prétendument vert ou pas, n’offre aucune bonne réponse à la crise écologique».
Environnement

De l’Isthme de Tehuantepec au Mexique aux crêtes des montagnes d’Agrafa en Grèce, l’opposition contre les projets éoliens grandit et s’internationalise. Des communautés locales et militant·es écologistes s’opposent à cette nouvelle industrie dite «verte» car elle détruit leurs lieux de vie et les paysages naturels des régions où elle s’implante.

Le Climate Justice Camp qui s’est tenu à Bruxelles en septembre 2021 accueillait une délégation de militantes et militants originaires de l’isthme de Tehuantepec, au sud du Mexique, venu·es dénoncer le développement de parcs industriels éoliens sur les terres communales1>Dans la région de Tehuantepec, il existe trois types de propriété: privée, publique et communale. Les terrains communaux représentent 80% du territoire. Gérés horizontalement par des assemblées d’habitant·es, ils ne servent ni à l’habitat ni aux loisirs, leur rôle étant d’assurer la préservation des écosystèmes. Les projets de développement éolien ont pour conséquence la disparition de ce type de propriété et la privatisation des terrains au bénéfice des multinationales. de leur région. EDF et d’autres compagnies majoritairement européennes y développent depuis quelques années un ensemble de parcs industriels éoliens avec le soutien du gouvernement mexicain, de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement. A ce jour, 2000 aérogénérateurs ont été installés le long de l’isthme et d’autres suivront. En effet, au début des années 2000, le gouvernement de l’Etat d’Oaxaca avait annoncé l’implantation d’un parc éolien qui produirait 7000 MWh par an, un projet d’une ampleur colossale qui nécessiterait l’accaparement forcé de 100 000 hectares de terres.

Bien que le vent soit une source d’énergie renouvelable, les militantes et militants venu·es du Mexique ont démontré que le mégaparc éolien de l’isthme de Tehuantepec ne peut être considéré comme un projet écologique. Il ignore les communautés humaines et non humaines locales et est responsable de la mort de centaines d’espèces. Des poissons sont tués par les vibrations des aérogénérateurs et les rejets d’huile synthétique2>Les fuites d’huile synthétique, de solvant et de peinture sont générées notamment à travers la vidange nécessaire à l’entretien des éoliennes. dans l’eau tandis que les pales tuent des oiseaux, y compris des espèces rares et des rapaces. Le bruit généré, les vibrations et les changements microclimatiques obligent les habitant·es à fuir. La quantité de béton coulé et de routes créées pour l’implantation des parcs éoliens ont bouleversé l’hydrographie du territoire. Le combat contre les éoliennes a fait l’objet de fortes répressions de la part du gouvernement, au point que certaines personnes en ont perdu la vie.

En France, un collectif dénommé «Stop EDF Mexique» s’est constitué pour dénoncer l’investissement d’EDF à Tehuantepec et exiger l’arrêt immédiat des travaux. Une lutte avait été menée quelques années plus tôt dans l’Aveyron (département français du sud-ouest) contre ce même «colonialisme énergétique engendré par l’industrie du renouvelable», selon l’expression reprise d’un fascicule de l’Amassada, la ZAD aveyronnaise alors en résistance. En 2015 en effet, RTE, une filiale d’EDF, avait voulu implanter un méga-transformateur de 7 hectares dans le sud de l’Aveyron dans le but de distribuer la production énergétique de 1000 éoliennes sur le réseau international, suscitant l’indignation d’un grand nombre d’habitant·es.

Que ce soit au Mexique, en France, en Espagne, en Grèce ou ailleurs, l’industrie éolienne transforme les campagnes. Les éoliennes sont des équipements industriels de production d’énergie qui ont la particularité d’occuper de grandes étendues de terres. En Espagne, des régions entières sont sacrifiées à cette industrie. En Grèce, depuis plusieurs années, de nombreux projets de ce type ont été réalisés ou annoncés dans différentes régions du pays, provoquant la colère des habitant·es. Agrafa, Eubée, Epire, l’Attique (région d’Athènes), le Péloponnèse, Astypalée, Céphalonie, Andros, Kos, Samothrace, la Crète, et bien d’autres, sont autant de régions, sur le continent et les îles, touchées par l’implantation de parcs éoliens industriels. En novembre 2020, 27 maires ont dénoncé ensemble ces projets de développement aux conséquences écologiques, économiques et sociales dramatiques pour les communautés locales. Les mouvements de luttes se sont multipliés à travers la Grèce, aussi vite que les permis d’implantation octroyés par le gouvernement Mitsotakis, et des actions de protestation, qui ont donné lieu des rassemblements importants, ont été organisées.

Pour nous qui vivons à Bruxelles, ces contestations peuvent paraître marginales, presque absurdes, à se demander si ces personnes ne préfèrent pas la pollution des énergies fossiles ou les déchets nucléaires au vent, cette source «propre» et renouvelable. Les projets d’implantation d’éoliennes sont de plus en plus grands, les aérogénérateurs de plus en plus hauts, les enjeux territoriaux de plus en plus importants, et c’est pourquoi la contestation contre les projets éoliens grandit elle aussi. Le monde productiviste, prétendument vert ou pas, n’offre aucune bonne réponse à la crise écologique et le débat entre énergie verte ou grise est un faux débat.

Notes[+]

Eva Betavatzi est militante pour le  comité pour l’abolition des dettes illégitimes (source: Inter-Environnement Bruxelles), www.cadtm.org

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