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Firmes suisses toutes-puissantes en Colombie

Firmes suisses toutes-puissantes en Colombie
Le siège de Glencore à Baar, en Suisse centrale. KEYSTONE
Colombie

Un accord passé entre la Suisse et la Colombie empêche la justice de ce pays de protéger les droits de ses populations locales et l’environnement. Invraisemblable, l’histoire racontée dans nos colonnes révèle l’ignominie de la politique helvétique en matière de protection des «investissements à l’étranger». Grâce à la Confédération, la firme Glencore, domiciliée à Zoug, a déposé en 2021 une plainte contre la Colombie pour avoir ordonné de restaurer la rivière Arroyo Bruno, détournée de son cours dans le but d’exploiter davantage de charbon dans le département de la Guajira. La plus grande mine à ciel ouvert de charbon d’Amérique latine, El Cerrejón, détenue par Glencore, a déjà occasionné des dégâts incommensurables depuis plusieurs dizaines d’années: déplacements forcés, pollutions irréversibles, changement climatique local, graves atteintes à la santé des populations, insécurité pour les défenseurs·euses des droits humains, etc. Le Courrier avait pu lui-même se rendre compte de l’ampleur de la catastrophe lors d’un reportage sur place (lire notre édition du 1er mai 2015).

Aussi, lorsque la justice colombienne a enfin réagi pour empêcher une nouvelle destruction massive, en décrétant que l’affluent saccagé par Glencore devait retrouver son lit, un espoir est né pour les communautés locales. C’était compter sans l’existence d’un accord de protection des investissements entre la Suisse et la Colombie, signé en 2006 par Joseph Deiss et le président colombien d’alors, Alvaro Uribe, qui permet à Glencore de faire appel de cette décision, avec effet suspensif. En vertu de l’accord, un tribunal privé extraterritorial peut se substituer à la souveraineté de la Colombie. Dans les faits, il appartient à des juges nommé·es par les deux parties et par la Banque mondiale de décider si la justice colombienne a le droit de protéger la santé, la sécurité et l’environnement de ses populations. Non, aujourd’hui la protection des droits humains ne va malheureusement pas de soi. Elle doit être soupesée par rapport aux droits des entreprises à protéger leurs investissements.

Ces tribunaux internationaux privés conduisent à des situations si ubuesques qu’ils commencent heureusement à être contestés par les Etats. Dernièrement, la Bolivie, l’Equateur et l’Inde ont résilié leurs accords en la matière avec la Suisse. Des brèches s’ouvrent également au sein de pays européens. A contrario, la Suisse, championne dans le domaine, s’enferre à les défendre coûte que coûte, sans crainte de contredire ses beaux discours sur la «responsabilité» sociale des entreprises et le respect de l’environnement.

Opinions International Christophe Koessler Colombie

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