Solitude des médias
Les sondages ne laissaient guère d’espoir; le scrutin de ce dimanche a confirmé ces tendances. Les Suissesses et les Suisses ont refusé la Loi sur l’aide aux médias avec un score sans ambiguïté: 54,6% de non.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cet échec. Tout d’abord, la machine de guerre de l’UDC a une nouvelle fois montré sa redoutable efficacité. Pas question de verser de l’argent aux gros éditeurs, a claironné la formation d’extrême droite. Et tant pis si c’était une fake news, le gros des 150 millions devant aller aux petits éditeurs.
Mais l’abus de vérités alternatives n’est sans doute pas la seule raison. La profession porte aussi une part de responsabilité. Jusqu’à récemment, elle s’est inscrite en faux contre l’idée d’une aide directe aux médias. Ce n’est que depuis quelques années, sous les coups de boutoir des géants d’internet qui siphonnent la publicité et le contenu des journaux, que la croyance aveugle aux bienfaits des lois du marché a cédé la place à une vision moins dogmatique. Trop tard sans doute, il aurait fallu davantage de temps pour inverser le discours tenu pendant des décennies.
Troisième obstacle, très conjoncturel celui-là: la méfiance à l’égard des médias. La crise du Covid et l’effondrement politique au niveau des valeurs et des idées qu’elle a entraîné n’a pas aidé. Le discours des opposant·es aux vaccins et aux mesures sanitaires a pris des proportions inédites et parfois surréalistes. Pas seulement en Suisse, évidemment, le blocage d’Ottawa est là pour le rappeler.
Et maintenant, que faire? Il faudra sans doute revenir à la charge. Prenons au pied de la lettre les reproches de l’UDC et proposons un nouveau projet uniquement pour les petits journaux. Chiche? Ne nous y trompons pas, les tartuffes de l’extrême droite préparent bien au contraire deux initiatives pour exploser le service public, la SSR. Ils ont échoué avec No Billag; la victoire de ce week-end leur donnera des ailes. Autre piste possible: une action un peu résolue pour instaurer la fameuse Google Tax.
Et la balle est aussi dans le camp des cantons – notamment romands, où le soutien aux médias l’a emporté, le vote est aussi marqué par le fameux roestigraben – pour imaginer des pistes garantissant un minimum de diversité médiatique. Il faut espérer un électrochoc après la déroute de ce week-end.
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