Le mot du traducteur – Christian Viredaz
La difficulté (pour moi) à traduire des poètes comme Pietro Montorfani ou Lia Galli sont davantage d’ordre (auto)biographique que proprement littéraire, dans la mesure où, jusqu’ici, j’ai surtout traduit des auteurs de la génération de mon père (comme Giorgio et Giovanni Orelli, Remo Fasani ou Federico Hin-dermann – ou, plus près de nous, Fernando Grignola), des «grands frères» comme Alberto Nessi et Aure-lio Buletti, ou des poètes de ma génération, comme Fabio Pusterla et Dubravko Pušek. Pour ces derniers surtout, mais aussi pour leurs grands aînés, il m’a été relativement aisé et, pour ainsi dire, «naturel» de me glisser dans leur œuvre et de vivre en quelque sorte quelques-uns au moins de leurs poèmes comme «de l’intérieur», bref, de leur prêter ma voix sans je crois les trahir. Mais, s’agissant des plus jeunes, comment être certain de leur rendre justice lorsque j’interprète dans ma langue leurs écrits avec ma sensibilité pro-pre, alors que je ne puis «sentir» leur vécu que par projection davantage peut-être que par empathie? (D’aucuns pourront s’étonner que je mette à ce point l’accent sur le vivre et le vécu s’agissant de l’écriture poétique, mais la plupart savent bien que ce que j’entends par là, ce sont les sentiments et les émotions éprouvés sans lesquels l’écriture n’est qu’exercice technique. Cela dit, sans cette dimension que je viens d’appeler technique mais qu’il serait plus juste de qualifier d’artisanale, la simple expression des sentiments ne suffit pas à générer de la poésie.)
Pour revenir à ce que je disais à l’instant, comment faire parler ces poètes dans ma langue en préservant l’authenticité de la leur, sans donner dans l’interprétation maladroite de la manière d’être au monde pro-pre à des plus jeunes que moi? C’est sans doute une question que peuvent aussi se poser nombre d’actrices et de comédiens, qui pour leur part n’hésitent pas à y répondre en jouant, comme l’enfant dé-montre la marche en marchant. Je m’y suis donc essayé de mon mieux: à chacune et chacun de juger si j’y suis parvenu, à commencer par les auteurs (et les autrices: car je ne suis pas de celles et ceux qui considè-rent qu’un traducteur homme n’est pas en mesure de prêter sa voix d’encre à des voix féminines, voire n’y serait pas habilité).
Christian Viredaz, 18.01.22