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Pemba: impressions soleil couchant

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Unguja, l’île principale de l’archipel de Zanzibar est connue pour son histoire complexe, ses sites archéologiques, le croisement des civilisations perse, arabe, africaines, européennes, son agitation, ses marchés colorés envahis par les touristes, ses célébrités: Freddie Mercury et maintenant Abdulrazak Gurnah, prix Nobel de littérature 2021. Pemba, île jumelle située au nord, c’est le contraire! D’ailleurs, si l’on vous voit y partir depuis Stone Town, capitale de Zanzibar, on ne manque pas de vous demander: «Qu’allez-vous faire à Pemba? Il n’y a rien!».

Rien, au sens de ce qui attire les touristes à Zanzibar. C’est sans doute un intérêt du lieu. Pemba est une île corallienne, plate et très cultivée, peuplée de paysans et de pêcheurs. Cocoteraies et champs de manioc alternent avec des manguiers, des rizières, des cultures de légumes, de bananes et d’épices, dont les célèbres clous de girofle de Zanzibar. Côté mer, la zone des marées est quadrillée et envahie de silhouettes, surtout de femmes et d’enfants, qui cultivent des algues rouges multicolores servant à produire des adjuvants gélifiants utilisés en pharmacie, en cosmétique et en cuisine industrielle. Vous en avez ingéré, sans le savoir, sous le sigle E407, dans des yaourts, des saucisses ou des plats préparés.

La culture, la récolte et le séchage de ces algues, les pieds dans l’eau, sous le grand soleil à marée basse, et leur séchage représentent un travail épuisant, organisé par des coopératives de femmes qui y trouvent une relative indépendance financière. Un travail à temps plein leur rapporte à peine quarante euros par mois, payés par des acheteurs chinois qui mettent en concurrence Philippins, Indonésiens et Africains pour faire baisser le prix payé par kilogramme d’algues séchées. Là encore, les travailleuses – et des travailleurs qui les rejoignent de plus en plus, faute de mieux – font les frais d’abominables spéculations. Celles-ci, à tout moment, peuvent les priver de revenus si, ailleurs, des plus pauvres font le travail pour moins cher.

Pemba est très musulmane, mais les minorités chrétiennes y sont tolérées et les voiles sont plus souvent très colorés et décorés, voire de couleurs fluorescentes, que noirs. Les masques faciaux religieux, très minoritaires, sont facilement retirés au restaurant ou ailleurs, livrant parfois de larges sourires aux étrangers, en l’absence de barbus grincheux. Cela dit, les plus petites filles sont voilées dans les bras de leurs mères et le voile fait partie de l’uniforme des écolières.

Pemba, surnommée l’île verte, montre encore les restes d’une belle forêt primaire et de magnifiques mangroves, fréquentées par une multitude d’oiseaux. On y aperçoit des petits singes aux curieux testicules bleus et des galagos, primates nocturnes auxquels la classification zoologique refuse le titre de singe, malgré leur surnom anglais de «bébés de la brousse». Les roussettes, grandes chauves-souris frugivores, se rassemblent plutôt dans d’immenses arbres en ville. Bref, la nature est partout à terre à Pemba, et ce n’est pas en mettant la tête sous l’eau que l’on y échappera: les coraux y sont plutôt en bonne santé et la pêche, surtout locale, n’a pas encore compromis son avenir. Pour combien de temps?

Malgré la pauvreté et la précarité générales, les gens sont souriants et accueillants, plaisantent volontiers avec les rares étrangers de passage. L’atmosphère générale est paisible et, à l’ouest, les couchers de soleil entre plages et cocoteraies sont spectaculaires, comme dans tout endroit semblable.

Comme le veut la rumeur, il n’y a rien de particulier à Pemba, ce qui protège l’île de l’invasion des touristes, des promoteurs et de projets grandioses et destructeurs autour de sites prétendus exceptionnels, à tort ou à raison. Au rythme des chariots tirés par de maigres zébus, les chargements d’algues ou de fruits rejoignent les points de vente par des rues où l’on n’est pas agressé par une publicité quasi-absente. Il n’y a rien à Pemba? Tant mieux…

Dédé-la-Science, chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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