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Protection du climat et protection des locataires vont de pair

Le logement en question

La lutte contre le réchauffement climatique doit aller ensemble avec l’amélioration de la protection des locataires et, d’une manière générale, avec de nouveaux droits ­sociaux.

Les locataires et la majorité de la population ne sont pas responsables du mode de production des bâtiments. L’accès au logement et la qualité des immeubles échappent au choix individuel des locataires qui, surtout dans les villes, n’ont pas leur mot à dire sur l’isolation ainsi que sur le système de chauffage et d’eau chaude.

Ce n’est pas le cas de certains promoteurs, qui ont construit des «passoires énergétiques» en connaissance de cause. Rappelons notamment que des immeubles anciens et de bonne qualité, qui auraient pu être rénovés, ont été démolis et remplacés par des immeubles mal isolés pour contourner les règles de protection des locataires qui existaient jusqu’aux années 19701>E. Gaide et alii, La LDTR, Démolition, transformation, rénovation, changement d’affectations et aliénation Immeubles de logements et appartement, 2014, Stämpfli, p. 4.. La Confédération limitait alors les hausses de loyers2>D. Lachat et alii, Le bail à loyer, 2019, Asloca, pp. 38-39.. Ces immeubles nécessitent aujourd’hui de gros travaux d’assainissement. Leurs propriétaires ont empoché des loyers durant des décennies sans se préoccuper des coûts nécessaires pour les travaux énergétiques. Les locataires ont donc déjà fait leur part d’effort.

La politique climatique doit intégrer cette réalité et le fait que se loger est un besoin fondamental. Elle doit se faire avec les locataires et non pas contre eux. Il faut rompre avec la logique défendue par les milieux immobiliers et leurs soutiens politiques, selon laquelle il s’agit de favoriser un peu plus encore les bailleurs pour que ceux-ci acceptent d’isoler leurs immeubles. Ces arguments ont été servis à Bâle-Ville par les opposants à une initiative de l’Asloca. Ils l’ont aussi été à Genève pour refuser un projet de loi (12592) co-rédigé par l’Asloca et une dizaine d’associations de locataires, qui visait à atténuer les nuisances des chantiers pour les habitant·es des immeubles concernés.

Dimanche dernier, les Bâlois ont donné une leçon aux bailleurs et à leurs soutiens de l’écologie (néo)libérale. Avec 53% des votant·es, une initiative de l’Asloca a été acceptée. Elle s’inspire de la principale loi de protection des locataires à Genève (LDTR). En complément au droit du bail, que les représentant·es politiques des bailleurs à Berne s’emploient à démanteler, les locataires bâlois·es pourront compter sur une protection permettant de limiter les démolitions-reconstructions et les hausses de loyers après travaux.

Durant la campagne, l’Asloca Bâle-Ville et ses alliés ont pu montrer, en prenant Genève en comparaison, que la protection des locataires n’empêche pas les travaux nécessaires à la protection du climat. On ne rénove pas moins à Genève qu’à Zürich et les loyers des logements protégés par la LDTR notamment augmentent moins vite: «Les loyers des logements protégés par la loi à Genève n’ont augmenté que de 4% depuis 2008. Cela correspond à peu près à l’évolution des salaires. En revanche, les loyers existants à Bâle-Ville ont augmenté de 16,6% durant la même période.»

Bâle-Ville et Zürich disposaient de lois similaires à la LDTR jusqu’à la fin des années 1990. Leur suppression a exposé les locataires à la spéculation. Les autorités zurichoises craignent aujourd’hui que plusieurs dizaines de milliers de locataires perdent leurs logements, au prétexte de réaliser des rénovations. Voilà l’un des principaux obstacles à la politique climatique en Suisse.

La LDTR et les lois similaires d’autres cantons permettent d’y remédier et sont donc des piliers de l’action en faveur du climat. Elles limitent les démolitions-reconstructions aux seuls projets qui permettent de réaliser plus de logements; elles limitent les travaux inutiles qui surenchérissent les loyers et induisent de fortes consommations d’énergies; elles protègent les locataires contre des hausses de loyers trop importantes et, indirectement, contre des congés de masse.

Ces lois donnent donc une assise à la politique climatique au sein des locataires, qui forment la majorité de la population.

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Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime à titre personnel.

Opinions Chroniques Christian Dandrès

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mercredi 20 octobre 2021

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