Chroniques

La gauche israélienne va de compromis en compromissions

AU PIED DU MUR

«Vous prétendez être de gauche!?» titre la libre opinion publiée par le président de la Liste (arabe) unifiée et député, Ayman Odeh, dans Haaretz du 19 novembre 2021. Une tribune que l’on perçoit écrite dans un élan de colère et de grande tristesse. Ses propos s’adressent aux député·es travaillistes et de Meretz (gauche sioniste), qui se sont joint·es à la coalition hétéroclite formant le gouvernement actuel dirigé par le leader d’extrême droite Naftali Benett.

Vouloir se débarrasser du régime véreux et brutal de Benyamin Netanyahou est une question de salubrité publique qui justifie bien des compromis, et je me garde de juger mes ami·es de la gauche sioniste qui ont fait le choix de participer à la coalition gouvernementale actuelle. Mais de là à accepter toutes les compromissions et de ramper devant les diktats de l’extrême droite? Je donnerai pour exemple une de ces compromissions qui n’est pas d’ordre sécuritaire ou politique, mais symbolique.

La Liste unifiée a proposé à la Knesset un projet de loi qui reconnaît – enfin – la responsabilité de l’Etat dans le massacre de Kafr Qassem. Pour mémoire, le 29 octobre 1956, la police israélienne ouvrait le feu sur des travailleurs qui rentraient chez eux. Des chantiers de construction et des ateliers de la banlieue de Tel Aviv d’où ils venaient, ils n’avaient pas entendu les haut-parleurs annonçant un couvre-feu sur Kafr Qassem et les villages environnants, et c’est tout innocemment qu’ils rentraient après une longue et dure journée de labeur.

La police des frontières a ouvert le feu et assassiné froidement 49 citoyens arabes d’Israël, dont 17 enfants et adolescents. A l’officier qui demandait au lieutenant-colonel Chadmi, commandant de l’opération, ce qu’il fallait faire des travailleurs qui rentraient sans savoir qu’il y avait un couvre-feu, ce dernier répliqua en haussant les épaules «Allah Yirhamou» (en arabe «que Dieu les prennent en pitié», expression traditionnelle quand on parle d’un mort). 49 citoyens assassinés de sang froid en moins d’une heure.

La censure imposa le silence sur ce massacre, et c’est sous la forme d’une fable que l’hebdomadaire Haolam Hazé (seul journal d’opposition) contourna l’interdit, des semaines plus tard. Sous la pression de Haolam Hazé et des députés communistes, une enquête fut finalement ouverte qui, malgré les pressions du premier ministre David Ben Gourion, déboucha sur un procès.

Le lieutenant-colonel Chadmi, finalement condamné à payer une amende de dix sous [sic], les brandit fièrement devant la presse après la lecture du verdict scandaleux. Le juge Halevi avait pourtant créé un précédent: le devoir de refuser d’obéir à un ordre «sur lequel flotte le drapeau noir de l’illégalité flagrante».

Revenons à l’actualité: la loi proposée par la Liste unifiée qui reconnaît la responsabilité de l’Etat dans le massacre de Kafr Qassem a été repoussée par 93 député·es, dont ceux du Meretz (les députés arabes du Meretz ayant cependant eu le droit de ne pas voter avec la majorité à laquelle ils appartiennent – quelle tolérance!).

Alors disons-le avec Ayman Odeh: «Ami·es du Meretz, êtes-vous encore de gauche ou un simple cache-sexe pour l’extrême droite au pouvoir?»

Le précédent président de l’Etat, Reuven Rivlin, pourtant nationaliste de droite, est allé, lui, à Kafr Qassem, pour demander pardon au nom de l’Etat.

Michel Warschawski est militant anticolonialiste israélien et fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

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lundi 8 janvier 2018

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