Le sort réservé aux MNA devant l’ONU
Ils étaient 106 au mois de janvier et ne sont plus que 29 aujourd’hui. Eux, ce sont des «mineurs non accompagnés», désormais désignés par le simple acronyme MNA. Des enfants étrangers, parfois de jeunes adultes (presque exclusivement masculins), en errance dans les rues de Genève et d’autres villes européennes, sans possibilité de demander l’asile parce que provenant de pays dits «sûrs». En tant que mineurs, lorsque leur statut est reconnu, ils bénéficient toutefois d’une protection particulière.
> Lire aussi notre édito: Les mains sales
Au mois d’octobre, divers services de l’Etat et la police se félicitaient dans les colonnes de la Tribune de Genève de la chute spectaculaire de leur nombre. Il faut dire que la lutte contre les vrai-faux MNA figure parmi sept priorités de la politique criminelle élaborée en décembre 2020 par le Ministère public et le Département de la sécurité, de la population et de la santé.
1. Profilage racial et harcèlement
Ce que ces jeunes sont devenus, ni les autorités ni les associations leur venant en aide ne le savent. La recette pour parvenir à leur quasi-disparition est très décriée par la société civile. Le sort réservé aux MNA est dénoncé devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, dont la 105e session se tient jusqu’au 3 décembre à l’ONU.
La permanence juridique pour les MNA, mais aussi la Law Clinic de l’université de Genève, signale des abus et des discriminations systématiques, une procédure administrative inéquitable, notamment sur la détermination de l’âge et des arrestations et des incarcérations massives.
Le profilage racial et le harcèlement policier dont seraient victimes ces jeunes sont pointés. Outre les contrôles au faciès et les dérapages verbaux racistes d’agents de police, la permanence regrette la création d’une «unité anti-MNA».
«Au début de l’été 2020, la police genevoise a créé le Groupe vols et agressions de rue (GVAR), qui était en réalité dédié aux contrôles systématiques des jeunes migrants non accompagnés, avance Me Milena Peeva, cofondatrice de la permanence juridique pour les MNA/RMNA. Le lien arbitraire établi entre ces jeunes et la criminalité ainsi que la création de cette unité constituent une forme de profilage racial, qui est interdit à la fois par la Constitution et les normes internationales.»
Après des plaintes des habitant·es des Grottes faisant état d’un sentiment d’insécurité croissant, la police a bien créé le GVAR au 1er juillet 2020. Mais Jean-Philippe Brandt, officier de communication de la police cantonale, assure que les MNA n’étaient pas spécifiquement visés: «On s’inscrit en faux contre cette rumeur. L’unité s’attaque à un type de délit et non à un type de personnes.» Un des porte-parole de la police déclarait tout de même en 2020 qu’il s’agissait «toujours des mêmes individus» et évoquait les MNA et «deux à trois arrestations par jour».
M. Brandt balaie également les accusations de profilage racial, rappelant que «les policiers ne sont pas des bourreaux et qu’ils ont conscience d’avoir affaire à des personnes vulnérables». «On contrôle sur la base de soupçons. Si on reçoit une plainte pour un vol à l’arraché et que la victime dit avoir été agressée par un Maghrébin, on ne va pas contrôler un Suédois!»
2. Procédure administrative en question
Le second élément que questionne la société civile est la mise en place d’une procédure spécifique aux présumés mineurs non accompagnés pour déterminer leur identité, leur minorité et, au final, leur droit de rester en Suisse. «Les autorités administratives ont mis en place cette nouvelle procédure en collaboration avec la police. Son déroulé n’est décrit dans aucune loi fédérale ou cantonale», assure Me Peeva.
Via les foyers du Service de protectionn des mineurs (SPMI), les jeunes sont convoqués à la Cellule requérants d’asile de la police pour une prise d’empreintes. Ils sont ensuite convoqués à un entretien, «un interrogatoire qui peut durer jusqu’à huit heures d’affilée», explique l’avocate. A partir des résultats de cette enquête sommaire et de la seule interprétation des autorités administratives, il est décidé si le jeune doit quitter le territoire ou non.»
Une décision formelle est rapidement notifiée et ne peut faire l’objet d’un recours que pendant cinq jours. Le jeune est aidé d’une personne de confiance nommée par l’Etat. En l’occurrence un juriste de Caritas. «Selon nos informations, seul un recours sur plus d’une cinquantaine de dossiers aurait été introduit», regrette Me Peeva.
Sur le fond, l’Etat balaie toutes les accusations de manquements ou d’absence de base légale. «C’est exactement le contraire, affirme Laurent Paoliello, porte-parole du DSPS. La mise en place de la procédure d’examen du statut de séjour des personnes se déclarant être des mineurs non accompagnés répond à une des vingt recommandations adressées à la Suisse adoptées le 14 mai 2019 par le Conseil de l’UE, à la suite de la visite d’évaluation Schengen de la Suisse par des experts européens en 2018.»
Selon lui, l’essentiel de la procédure est basée sur l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative se rapportant à la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI). Enfin, il estime que la procédure est équitable: «Les décisions de l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) sont sujettes à recours. A ce jour, chaque fois qu’un recours a été interjeté contre une décision de ce type, les tribunaux genevois ont toujours confirmé la légalité de la procédure suivie et de la décision rendue.»
3. Doutes sur la détermination de l’âge
Etant dans l’impossibilité de demander l’asile parce qu’issus de pays dits sûrs, les jeunes peuvent bénéficier d’une protection particulière et être logés et nourris s’ils sont déclarés mineurs. La détermination de l’âge revêt donc une importance capitale.
La permanence juridique pour les MNA/RMNA estime que cette procédure est problématique du point de vue des droits fondamentaux. «Cette expertise est basée principalement sur des dates de naissance données lors du franchissement de frontières européennes. Pourtant, il arrive que le parcours migratoire complexe des MNA/RMNA les contraint à donner des informations parfois inexactes afin de pouvoir quitter le pays d’origine qu’ils fuient», explique Me Peeva.
L’avocate dénonce aussi les expertises médicales pour déterminer l’âge. «La Société suisse de pédiatrie et d’autres scientifiques ont démontré le caractère arbitraire et les résultats aléatoires de ces méthodes, qui prévoient des examens invasifs tels que l’observation des parties génitales.»
Du côté de l’Etat, le discours est, là encore, diamétralement opposé. «En vertu de la LEI, il appartient à la personne alléguant être un MNA de prouver sa minorité, explique M. Paoliello. Dans la plupart des cas, les personnes effectivement mineures n’ont aucune difficulté à produire différentes preuves qui en attestent. Les MNA peuvent en outre prendre contact avec les autorités compétentes de leur pays d’origine, avec l’aide de la personne de confiance afin d’obtenir de leur part des documents probants. A la suite du constat selon lequel la personne auditionnée n’a pas prouvé ou du moins rendu vraisemblable sa minorité, l’autorité doit retenir une date de naissance. Il arrive aussi que, après les investigations, le pays d’origine identifie formellement le prétendu MNA et, dans cette situation, l’autorité administrative retient évidemment la vraie identité du prétendu MNA.»
«Il ressort de cette procédure et du traitement qui est infligé à ces jeunes, que des moyens importants sont investis pour les empêcher d’accéder à la plus minimale des protections au lieu de les aider», rétorque Milena Peeva.