Des horaires étendus sans contrepartie
Le 28 novembre prochain, les Genevois et les Genevoises voteront à nouveau sur une extension des horaires de magasin. Cette fois-ci, l’impulsion émane du Conseil d’Etat lui-même – alors à majorité de droite – et a été entérinée par le Grand Conseil ce printemps, avant qu’Unia, épaulé par les autres syndicats et les partis de gauche, ne lance un référendum.
Via une modification de la Loi sur les horaires d’ouverture des magasins (LHOM), le gouvernement propose de pérenniser l’ouverture des commerces trois dimanches par an, en sus du 31 décembre, férié dans le canton. En mai 2019, le peuple avait certes accepté le principe en votation, mais à titre expérimental, pour une durée limitée à deux ans.
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Surtout, les autorités entendent permettre aux enseignes de fermer à 19h tous les jours, y compris le samedi, contre 18h aujourd’hui. La fermeture à 19h30 le vendredi serait maintenue, tandis que la nocturne à 21h le jeudi, qui n’a jamais fonctionné, serait abandonnée, soit une baisse de l’amplitude horaire d’une heure par semaine.
Le but affiché est de contrer l’évolution des habitudes de consommation tournées vers le tourisme d’achat et le commerce en ligne. «Si les prix constituent la raison principale de cette évolution, l’impact d’un réaménagement des heures et des possibilités d’ouverture des commerces genevois ne doit pas être sous-estimé», estime le gouvernement. «Les horaires d’ouverture plus attractifs pratiqués en dehors des frontières cantonales ont une influence sur l’évasion du pouvoir d’achat, notamment les samedis et dimanches.»
Le beurre et l’argent du beurre
Seulement voilà, il n’y a plus aucune contrepartie prévue en faveur des salarié·es. Ce qui fait dire aux référendaires que les employeurs et employeuses veulent le beurre et l’argent du beurre. En 2016, les Genevois·es avaient voté en faveur d’une ouverture des magasins trois dimanches par an, en plus du 31 décembre, en échange de la conclusion d’une Convention collective de travail (CCT).
Or les négociations entre partenaires sociaux sont au point mort depuis que l’une des associations patronales, la NODE (Nouvelle organisation des entrepreneurs), a quitté la table des discussions au prétexte que le salaire minimum a été accepté par le peuple et qu’il n’y aurait donc plus rien à discuter. «Lancer par derrière une initiative sur le salaire minimum allait à l’encontre du partenariat social», confirme son président, le boulanger Stéphane Oberson.
Une attitude revancharde qui a le don d’irriter à gauche. «Le Conseil d’Etat se fait le porte-parole de l’intégralité des revendications patronales», se désole Pablo Guscetti, secrétaire syndical en charge de la vente chez Unia. «Depuis le Covid, le personnel va mal. Je n’ai jamais vu autant de personnes chercher à quitter leur métier ou à décourager les personnes potentiellement intéressées à entrer dans la vente.»
Il lui semble évident que si la modification de la loi devait être acceptée en votation, il n’existerait plus d’incitation pour que les associations patronales du commerce de détail reviennent à la table des négociations: «C’est dans une CCT que l’on peut prévoir des horaires aménagés, un certain nombre de week-ends libres dans l’année, une limitation de la durée de la journée de travail, des plannings fournis trois semaines à l’avance, etc.»
Des week-ends abrégés
Plus largement, soutiennent les référendaires, la réforme se fera «au détriment d’un personnel à majorité féminin, dans le cadre d’une persistance des inégalités en matière de répartition des tâches domestiques, avec un impact sur la santé des employé·es et la difficile conciliation entre vie professionnelle et privée».
Si la suppression de la nocturne du jeudi est unanimement saluée, l’allongement de l’horaire du samedi suscite de vives inquiétudes. «On aimerait bien pouvoir passer nos soirées et notre week-end en famille. Pas juste voir nos enfants un quart d’heure avant qu’ils se couchent», témoignait une vendeuse, il y a quelques mois, dans nos colonnes.
«Aujourd’hui, le temps de rentrer chez moi, il est presque 19h. Et encore, je n’habite pas loin», poursuivait une de ses collègues. «Si la loi passait, j’arriverais à la maison à 20h. Impossible de prévoir un dîner en famille ou avec des amis.» Pour Pablo Guscetti, prolonger l’horaire le samedi signifie «la fin de tout semblant de week-end»: «Dans certains grands magasins, il s’écoule bien quarante-cinq minutes entre le moment de la fermeture officielle et celui où les employés peuvent réellement rentrer chez eux.»
Changements d’habitudes
Du côté des commerçantes et commerçants, le discours est tout autre. «Notre priorité première ce sont les clients et leurs habitudes changent. Nous ouvrons de plus en plus tard le matin, mais ne voulons plus les mettre à la porte s’ils préfèrent acheter en fin de journée ou le week-end», relève Louise Barradi, présidente de la Fédération du commerce genevois (FCG).
Quant à savoir si cette libéralisation des horaires favorisera les grands magasins au détriment des petits, Flore Teysseire, secrétaire patronale, répond par la négative. «Cette adaptation concilie les intérêts des petits et des grands face au e-commerce et au tourisme d’achat.»
«Si je peux augmenter de 6-7% mon chiffre d’affaires le samedi, cela me permet d’engager du monde», relève Sébastien Aeschbach, directeur des magasins de chaussures éponymes, membre du bureau du Trade Club et du Conseil économique de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève. «Quant au dimanche, les heures sont rémunérées à double, il y a des listes d’attente, c’est le job le mieux payé du monde pour des étudiant·es. A l’approche de Noël, le shopping ce n’est pas un gros mot, c’est festif, une belle activité en famille.»
Un avis qui n’est pas unanime. Ainsi la Librairie du boulevard ferme à 17h le samedi au lieu de 18h, et n’entend pas allonger ses horaires. «Il y a toujours une clientèle qui pourrait être intéressée à venir plus tard. Moi-même, une fois, je pourrais me retrouver dans cette situation. Le confort personnel et ponctuel nous pousse à faire des concessions à la consommation», déplore Damien Malfait, membre du collectif. «Il s’agit d’une régression larvée de l’espace dévolu à la vie privée, et ce d’autant qu’il n’y a pas de contrepartie en faveur des employés. Il y a une vie après la vente!»