Édito

Le Soudan s’accroche à son printemps

Le Soudan s’accroche À son printemps
La Révolution soudanaise résiste malgré la répression policière qui a déjà fait 14 morts. KEYSTONE
Soudan

L’Afrique du Nord est-elle condamnée aux gouvernements autoritaires? Dans l’ouest du sous-continent, les dix ans du «Printemps arabe» ont été successivement marqués par la reprise de la guerre marocaine au Sahara occidental, des élections de «basse intensité» en Algérie et la suspension des institutions démocratiques tunisiennes, sans provoquer d’émois démesurés, à l’interne comme à l’extérieur de ces pays. Dans l’est, la dictature militaire et personnelle d’Abdel Fattah al-Sissi s’est tellement enracinée, que le maréchal-président égyptien a tranquillement levé l’état d’urgence en octobre. Sans effet rétroactif, bien entendu, pour les dizaines de milliers de détenu·es politiques.

Dernier des Mohicans, le Soudan a lui basculé le 25 octobre, avec le coup de force du général Abdel Fattah al-Burhan. Les causes directes sont connues: les militaires et paramilitaires, contraints à la suite de la Révolution d’avril 2019 de partager le pouvoir avec les civil·es, auraient dû lâcher le conseil de transition en novembre, selon le calendrier préétabli. Et ils commençaient sérieusement à craindre que les élections agendées en 2023 ne leur coûtent leurs prébendes directement prélevées sur les richesses du pays, voire ne les expédient au cachot pour crimes de guerre.

En souterrain, de nombreuses autres forces ont joué en défaveur du processus de transition démocratique. A l’interne, on pointera le rôle des islamistes, discrédités et éjectés du pouvoir à la chute d’Omar el-Béchir, et qui déjà commencent à reprendre pied dans l’administration de Khartoum, avec le soutien des monarchies du Golfe. A l’extérieur, on soulignera la responsabilité écrasante des puissances occidentales qui ont imposé aux Soudanais·es tout juste libéré·es de la dictature un régime d’austérité draconien contre l’octroi des prêts indispensables à un pays ruiné par des décennies de guerres et de sanctions économiques. Sans oublier les manœuvres de l’Egypte, de la Russie, de la Chine ou des ex-rebelles soudanais, tous d’une façon ou d’une autre partie prenante de l’ancien régime.

Plus discret, Israël s’est au minimum réjoui du coup de force du général al-Burhan, artisan de la «normalisation» des relations entre l’Etat hébreu et le Soudan, «sous l’égide» de Donald Trump. Un lâchage de la Palestine qui n’a en revanche pas été du goût de la société civile soudanaise…

Courageuse, diverse, populaire, féminine, la Révolution soudanaise résiste néanmoins. Malgré le contexte économique et géopolitique, malgré les coupures d’internet et la répression policière qui a déjà fait 14 morts, elle a repris la rue et exprime sa soif de liberté et de justice sociale. Sous l’impulsion des Comités de quartier, elle multiplie les barricades, grèves et manifestations dans tout le pays, loin des yeux du monde. Samedi, une nouvelle «Marche du million» voudra mettre le pouvoir dans les cordes. Et, qui sait, réveiller l’opinion internationale?

Opinions Édito Benito Perez Soudan

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