Samos: «de réfugiés, ils deviennent prisonniers»
Des millions d’euros ont été dépensés pour la construction du nouveau camp de Samos, entouré de clôtures barbelées semblables à celles des installations militaires et doté de systèmes de surveillance avancés. Tout cela pour détenir des personnes dont le seul crime est de rechercher la sécurité et la stabilité en Europe. C’est une évidence: cela ne fera que déshumaniser et marginaliser davantage les personnes qui sont venues chercher une protection au sein de l’Union européenne.
Depuis des mois, nos patient·es de la clinique MSF de Samos se rendent à leur consultation avec la peur d’être enfermé·es dans ce centre. Elles et ils se sentent complètement abandonnés et impuissants. La majorité présente des symptômes de dépression et de stress post-traumatique. Entre les mois d’avril et d’août 2021, 64% de nos nouveaux patients ont dit avoir des pensées suicidaires et 14% présentaient un risque réel de passage à l’acte.
Pour celles et ceux qui ont survécu à la torture, fréquente sur les routes migratoires, être installé·e dans cette prison à ciel ouvert signifie la perte d’une partie de leur liberté, mais également qu’ils et elles vont être replongées dans leurs expériences traumatisantes. Nous travaillons avec des personnes qui sont les premières victimes du durcissement des politiques migratoires européennes, et nous assistons chaque jour à la détérioration de leur santé mentale et physique. L’ouverture de ce camp opère une modification de leur identité collective: de réfugiés, ils deviennent prisonniers. Cela affecte leur image, leur estime d’eux-mêmes et leur dignité. L’Europe les brise.
Un de nos patients, âgé de 19 ans et originaire du Mali, est coincé à Samos depuis deux ans. Il a été contraint de quitter son foyer il y a quelques années, car il était victime de torture. Il avait réalisé ce voyage vers l’Europe dans l’espoir de trouver une vie meilleure et plus sûre. Désormais, il en vient à douter des raisons mêmes de sa propre existence. Que voulez-vous dire à un jeune homme qui, même s’il n’a commis aucun délit, est contraint de rester enfermé dans un centre qui ressemble à une prison? Cette perspective a déjà provoqué chez lui une série de réactions psycho-émotionnelles. Lorsque l’on a abordé le sujet du nouveau camp, il nous a dit: «Jusqu’à présent j’étais un réfugié, maintenant je vais aussi être un prisonnier.» Pendant combien de temps pourra-t-il encore endurer cette souffrance?
Le mépris absolu de la vie humaine et l’absence totale d’une protection efficace soulèvent de sérieuses questions. Les autorités grecques et européennes restent pourtant muettes sur ce sujet.
Félicité [prénom d’emprunt] est suivie dans notre clinique pour des troubles psychiatriques depuis le mois de février 2021. C’est une survivante de mutilations génitales, qui a subi un mariage forcé à l’âge de 14 ans et des violences sexuelles et physiques extrêmes pendant de nombreuses années, par un mari de trente ans son aîné. C’est également une victime de la traite des êtres humains. Elle est à Samos depuis deux ans et sa demande d’asile a déjà été rejetée deux fois. A ce titre, elle n’a pas accès aux distributions de nourriture. Elle attend depuis quatre mois de savoir si sa prochaine demande d’asile va être acceptée en se demandant: «Vais-je mourir de faim?».
Situé au milieu de nulle part et entouré de trois couches de clôture et de barbelés, le nouveau centre d’accueil de Samos est conçu pour accueillir jusqu’à 3000 personnes, dont 2100 bénéficieront d’un «accès contrôlé» et 900 seront en détention dans l’attente d’un rapatriement vers la Turquie, selon le ministre grec des Migrations.
Nous avons honte de l’Europe et de ses prétendues valeurs, qui ne s’appliquent pas aux personnes que nous rencontrons à Samos. Est-il si difficile de changer de paradigme et de donner un nouveau sens à la vie de ces centaines de personnes qui cherchent une protection en Europe? Cette ambition se heurte à un manque évident de volonté politique et de respect de la dignité humaine.
Nous sommes quotidiennement à l’écoute de nos patient·es et nous admirons leur capacité de résistance. Nous leur offrons un espace où elles et ils peuvent se sentir en sécurité et où elles et ils ont la possibilité de partager leurs peurs et leurs angoisses. Mais, tant que les mêmes erreurs et les mêmes mesures politiques, qui ont créé cette souffrance, se répéteront, nous ne pourrons pas vraiment soigner ces personnes. Nous ne ferons que les aider à survivre, sans pouvoir rien faire pour qu’elles puissent refermer leurs blessures.