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«Touristes, rentrez chez vous»

Dans un pays relativement épargné par le coronavirus, l’arrivée de vacanciers, vitale pour bon nombre de Grecs, se fait attendre. Tandis que d’autres la redoutent, comme certains habitants du quartier alternatif d’Exarcheia, à Athènes, qui souhaitent la limitation d’une industrie touristique aux effets dévastateurs.
Grèce

En 2019, près de trente-cinq millions d’étrangers ont visité la Grèce, une affluence record équivalant à trois fois la population du pays. Fin mai 2020, la saison touristique n’avait toujours pas commencé. Hôteliers, restaurateurs, saisonniers espéraient le retour de la clientèle en juillet. D’autres l’appréhendaient: «Touristes, vous détruisez ce pour quoi vous êtes venus», «Touristes, rentrez chez vous», peut-on lire sur certaines façades de la capitale, Athènes, comme à Exarcheia, où sont actifs les détracteurs de cette industrie.

Ce quartier alternatif a fait de la dénonciation du tourisme de masse l’une de ses nouvelles luttes, s’ajoutant aux combats contre les politiques d’austérité ou pour la solidarité envers les réfugiés. Graffitis ou assemblées alertent contre la «touristification»: «la subversion d’un lieu et de son caractère par le surtourisme», explique M. Penny Travlou, membre du collectif Action Against Regeneration & Gentrification (Action contre la réhabilitation et l’embourgeoisement), qui se concentre sur la crise de l’immobilier. Plusieurs groupes prônent une limitation du tourisme, qui reste une activité économique vitale pour bon nombre de Grecs.

Saturation des sites, emprise sur l’environnement due, notamment, à l’essor des ports de plaisance, raréfaction et renchérissement des logements disponibles à l’année, fermeture des commerces traditionnels… Les effets dévastateurs du tourisme ont submergé certaines îles et commençaient à déferler sur Athènes avant la pandémie. Nicholas Theocarakis, professeur d’économie politique à l’université d’Athènes, ne fait pas confiance à l’Etat pour contrôler cette vague. «Les gouvernements ont laissé s’installer ce surtourisme. Il n’y a pas eu d’investissements dans les infrastructures pour l’absorber. Notre économie, détruite par les mémorandums, ne le permet pas.»

La plate-forme Airbnb, qui prospère dans ce vide structurel, fait figure de cible numéro un. Depuis 2015, elle convertit des biens immobiliers en locations saisonnières, tandis que beaucoup de Grecs ne trouvent plus de logement. Mme Maria F., du mouvement Initiative des habitants d’Exarcheia, a observé l’augmentation de voyageurs profitant d’Airbnb à prix bas, dans des logements appartenant à des particuliers ou à des fonds d’investissement, y compris dans son quartier. «Les loyers ont augmenté. Beaucoup d’amis ne pouvant plus payer sont partis», raconte cette fonctionnaire, qui vit ici depuis 2007. Attirés par ce foyer anarchiste, emblématique de l’anticapitalisme et dépourvu de banques ou de grandes chaînes commerciales, les voyageurs, regrette-t-elle, «n’ont pas forcément conscience du lien social et du caractère politique typiques d’Exarcheia». L’esprit contestataire devient un objet marketing. Pour preuve: l’émergence de visites à thèmes du quartier, organisées par des agences de voyages ou des particuliers se présentant comme guides locaux.

Le confinement a porté un coup au système, sans l’abattre. Ces militants sont pessimistes, ils ne voient pas de changement à long terme. Pour eux, une régulation serait nécessaire, et ils évoquent plusieurs pistes, comme l’encadrement du nombre de locations saisonnières ou une taxation différente pour les petits propriétaires et les grandes compagnies du secteur. Mais ce n’est pas une priorité pour le gouvernement. Ce dernier communique plus que jamais pour attirer les visiteurs dans un pays qui déplore officiellement près de deux cents morts du Covid-19. «Il estime ce modèle fondé sur le tourisme rentable. Il ne recherche pas d’autres solutions», constate M. Theocarakis.

 

 

* Paru dans Le Monde diplomatique de juillet 2020.

Opinions Agora Elisa Perrigueur Grèce

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