Antivax
Elle est charmante, joyeuse, mère comblée de trois enfants, épouse heureuse d’un médecin doublement vacciné dès que ce fut possible et c’est une intellectuelle passionnée par son job. Elle se plaint d’avoir tout le temps des tests à faire pour la moindre activité mais, si vous parlez vaccin, son visage se referme: c’est niet! Vous ne saurez pas pourquoi… Les vaccins sont pourtant moins invasifs que les tests qu’elle s’inflige, mais les raisons de son refus sont sans doute à chercher parmi quelques fréquentations peu éclairées. Ou bien sur ces réseaux qui propagent des bobards auxquels beaucoup croient tant qu’ils refusent d’en discuter: la foi, ça ne se discute pas!
Il est sympa, énergique, super sportif et, quand le serveur chinois consciencieux lui demande son passe sanitaire, il brandit fièrement son téléphone, avec un certain sourire. Je montre le mien et on s’attable: «Ha, ha, ha… Je ne suis pas vacciné! J’ai acheté mon passe dix-huit euros à l’entrée d’une boîte de nuit!». Je gâche un peu son triomphe: «Moi, je me suis vacciné dès que j’ai pu, j’ai pas envie de crever dans un respirateur et, si c’est ton projet, c’est ton affaire!»
Une famille non vaccinée dont plusieurs paramédicaux: «Qu’est-ce que tu en penses, toi, de la vaccination?» Vous devinez ma réponse… moment de gêne, ça ne semble pas être le paradigme local. La conversation part vite sur d’autres sujets. Mais, avant mon départ, une des filles, sage-femme, me demande en aparté ce que je «pense de ce que l’on dit sur les stérilités causées par les vaccins à ARN». Je tombe des nues: jamais entendu parler de telles rumeurs, encore moins d’alertes ou d’arguments sérieux en faveur d’une telle théorie; mais il paraît que tout le monde en parle, dans son milieu…
On peut douter de presque tout, c’est même le B-A BA de la science. Mais que le coronavirus se soit, en quelques mois, répandu sur toute la planète, qu’il ait causé plusieurs millions de morts, et bien plus d’hospitalisations graves très désagréables, que même les Etats néolibéraux les plus cyniques se soient lancés dans les mesures tardives que l’on sait, en compromettant la sainte croissance de leurs économies, semble peu contestable. Cela confirme les risques mortels auxquels ils ont exposé leurs citoyen·nes auparavant, tandis que l’efficacité des précautions sanitaires, des vaccins et la rareté de leurs effets secondaires graves semble confirmée.
Bien sûr, on peut enrager qu’après avoir inondé le marché avec la pilule bleue qui fait bander les vieux messieurs et les obsédés sexuels, une pharma se fasse, à nouveau, des couilles en or en privatisant un vaccin indispensable à la santé mondiale. Surtout quand le concert des Etats n’a même pas réussi à la faire renoncer à des bénéfices indécents sur une technique qu’elle n’a pas mise au point. Mais dont elle assure toutefois la logistique complexe… pour les seuls pays qui peuvent payer!
Bien sûr, on se souviendra du commentaire de mon regretté ami, médecin-généticien et épidémiologiste, Josué Feingold, comme quoi, même s’il était pour, «la vaccination est une médecine totalitaire», contraire aux libertés individuelles. Et l’on pourra toujours hurler, avec l’UDC et des associations baba cool, à l’atteinte aux droits fondamentaux dès que l’on parle d’obligation. Mais c’est tout simplement parce que l’on est dans une situation où les droits de l’individu et les intérêts de la communauté sont contradictoires, où toute décision doit être prise en fonction de ses coûts humains, pas de coups de cœur émotionnels et égoïstes. Quand réaliseront-ils, ces antivax, qu’ils mettent en danger leurs vieux parents, leurs enfants fragiles, leurs ami·es, leurs élèves, leurs patient·es, et même, encore rarement à ce stade, leur jeune conjoint·e en pleine forme? Quand ils ou elles auront rendu visite à des proches dans le coma artificiel, secoués par des machines, et participé à plusieurs enterrements «sanitaires» en comité très restreint? Ce sera payer très cher une «liberté» plutôt anecdotique…
* Chroniqueur énervant.