Édito

Quand la gauche se dissout

Quand la gauche se dissout 
Scène de liesse lors de la proclamation des résultats des législatives, le 9 octobre 2021. KEYSTONE
République tchèque

On avait pris l’habitude de voir la gauche marginalisée en Pologne ou en Hongrie. Mais un troisième grand pays d’Europe de l’Est a fait encore plus fort ce week-end: plus aucune formation issue du mouvement ouvrier et défendant la justice sociale ne sera représentée au parlement de la République tchèque après les législatives de samedi. Ni le Parti social-démocrate (CSSD) ni le Parti communiste (KSCM) n’ont en effet passé le quorum des 5%.

Le choc est particulièrement rude pour le KSCM dont les sondages n’avaient pas prédit une telle mésaventure. Pour cet héritier de l’ancien parti unique, à la base naguère solide et habitué aux scores électoraux à deux chiffres, le renouveau générationnel ne semble pas s’être opéré.

La déroute du CSSD était, elle, annoncée. Elle n’en est pas moins spectaculaire pour le parti cofondé par l’icône du Printemps de Prague Alexander Dubcek, car la formation avait participé à une bonne moitié des gouvernements tchèques depuis la fondation du pays en 1993.

Dans une société moins politisée et largement acquise au marché, les jeunes ont visiblement préféré le Parti pirate au programme attrape-tout, se proclamant ni de gauche ni de droite, malgré des tonalités libérales (au sens anglo-saxon), vertes et européistes. Et encore: la formation de l’informaticien Ivan Bartos et ses alliés municipalistes n’ont rassemblé que 15% des voix.

Au-delà du gap générationnel, les causes de ces déroutes sont plurielles mais convergentes. Depuis les années 1990, le CSSD n’a cessé de scier la branche idéologique sur laquelle il se fondait. Rapidement acquis au social-libéralisme blairiste, le parti alors mené par le très populiste Milos Zeman a accumulé les scandales de corruption, au point de la symboliser dans l’opinion. Son alliance dès 2013 avec l’Action des citoyens mécontents (ANO), d’Andrej Babis, a fini par le plomber, l’oligarque xénophobe (mais amateur de comptes offshore et de subventions européennes) siphonnant allègrement son électorat populaire.

De même, le dernier gouvernement ANO-CSSD (2017-2021) aura sapé le restant de crédibilité du Parti communiste, qui lui apportait, contre quelques politiques sociales, un soutien critique mais décisif au parlement.

Pour dîner avec le diable, il faut une longue cuillère, dit-on. En tout cas, lui servir la soupe depuis trente ans ne semble pas avoir été une stratégie gagnante. Surtout quand on doit redonner des couleurs et une légitimité à une idée socialiste galvaudée par des décennies de communisme soviétique.

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