Édito

Un vote capital

Un vote capital
La fiscalité et l’économie, depuis une trentaine d’années, ont été systématiquement réformées dans l’intérêt d'une minorité de détenteurs et détentrices de capitaux. KEYSTONE
Votations fédérales

C’est peu dire que l’initiative dite «99%» est mal partie. Les derniers sondages ne laissent augurer qu’un tiers de votant·es favorables, le 26 septembre, à faire pencher un tout petit peu la balance fiscale en faveur des salarié·es, plutôt que des rentier·ères, des actionnaires ou des spéculateur·trices. De fait, loin de la spoliation dénoncée par EconomieSuisse, le texte des Jeunes socialistes opérerait un rééquilibrage bienvenu, tant la fiscalité et l’économie, depuis une trentaine d’années, ont été systématiquement réformées dans l’intérêt de cette infime minorité de détenteurs et détentrices de capitaux, le 1% visé par l’initiative. A l’heure où la crise sanitaire assèche les finances publiques et fragilise la situation des travailleur·euses, cette ponction supplémentaire devrait aller de soi.

Seulement deux chiffres: en Europe, les dix dernières années ont vu la fortune des riches1>HNWI (High-Net-Worth-Individual), personne qui dispose d’un million de dollars prêt à être investi (env. 0,1% de la population mondiale) doubler!2>World Wealth Report 2020, Cap Gemini Research Institute. En Suisse, des données similaires sur la même période montrent une tendance lourde à la stratification sociale: ainsi, le montant transmis par héritage a été dopé de plus de 50%3>Marius Brülhart (2019), «Les héritages en Suisse: évolution depuis 1911 et importance pour les impôts», Social Change in Switzerland N° 20 . Ces fortunes, loin d’alimenter l’économie réelle, la privent de substance. Car ce qui serait rapidement consommé par un·e salarié·e est ici thésaurisé, investi dans la pierre ou sur les marchés financiers.

Mais les conséquences de cette concentration extrême des richesses dépassent le domaine de l’économie. La constitution d’une caste d’ultrariches met à mal l’idée même de démocratie. Face à ces déséquilibres abyssaux, la corruption devient vite systémique. Elle joue de plus un rôle croissant dans la crise écologique, qu’elle alimente par la pression à l’exploitation et par les consommations aberrantes de quelques happy few. Quant à l’économie casino ainsi affourragée, elle est à l’origine de la plupart des crises les plus destructrices, dont les Etats et les plus faibles paient la facture.

A lui seul, un succès de l’initiative des JS ne changerait pas fondamentalement les rapports de force issus de la mondialisation néolibérale. Mais un score honorable dimanche donnerait au moins un signal encourageant, avant d’autres batailles fiscales, notamment proposées par la gauche sur l’imposition des dividendes, des héritages et les transactions financières. Elle anticiperait aussi une réponse à la droite, qui affûte déjà ses armes pour de nouveaux cadeaux fiscaux. Un groupe d’«experts», mandaté par le responsable fédéral des Finances, Ueli Maurer 4>«La place fiscale suisse. Rapport du groupe d’experts de la Confédération, des cantons et des milieux économiques et scientifiques mis en place par le DFF», 4 décembre 2020, suggère ainsi à Berne de réduire, voire de supprimer, les prélèvements sur la fortune et ceux sur les transactions, afin de «ne pas entraver l’accumulation du capital»… Limpide.

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