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Le Bélarus après les élections de 2020

Ce chercheur au think tank Center for Russia and Eastern Europe Research (CREER) réagit à la page Contrechamp du 8 juillet.
Bélarus

Depuis qu’Alexandre Loukachenko s’est autoproclamé vainqueur d’un sixième mandat en 2020, le pays traverse une période de turbulences politiques, économiques et sociales sans précédent, même si les enjeux remontent au début de sa présidence en 1994, lorsque la dérive autoritaire devient une tendance et s’installe dans la durée.

Pourtant, selon l’ONG Viasna, c’est à la suite des élections présidentielles abusivement truquées en août 2020 qu’une campagne de répression massive a forcé des milliers de personnes à quitter le pays, tandis que plus de 35 000 ont été arrêtés et presque 600 ont déjà reçu le statut de prisonniers politiques. Il s’agit d’un tournant décisif car le point de non-retour a été atteint. «L’îlot de stabilité», comme certains nostalgiques de l’URSS et partisans de la main dure du président autoritaire qualifient le pays, est devenu un Goulag moderne en plein centre de l’Europe.

Le Bélarus est désormais isolé physiquement: pour la première fois dans l’histoire, son espace aérien est fermé à la plupart des pays européens (sauf la Russie et la Turquie) et à tous les pays occidentaux, suite à un acte de piraterie aérienne mené par le régime bélarusse, le 23 mai 2021. La frontière terrestre est aussi de plus en plus difficile à franchir des deux côtés du rideau de fer et les restrictions pour quitter le pays ne cessent de s’accroître. A cela s’ajoute aussi, à titre d’exemples de retombées néfastes, l’isolement économique avec les paquets de sanctions qui se succèdent, la fermeture des marchés financiers internationaux ou l’arrêt de toute aide au ­développement.

Il ne faut pas oublier que l’Occident, et notamment l’UE, a contribué jusqu’à présent au développement du Bélarus dans de très nombreux domaines allant de programmes culturels spécifiques comme Erasmus+ aux aides financières concrètes visant la propulsion du secteur privé. Grâce au Partenariat oriental (auquel le pays vient de renoncer), l’allocation financière au Bélarus s’était élevée à environ 30 millions d’euros annuels depuis 2016.

Voyons aussi quelques chiffres du «miracle» bélarusse: les réserves d’or et de devises ont diminué de 529 millions de dollars (7,3%) au cours du premier trimestre de cette année, alors qu’elles avaient déjà diminué de 1,9 milliard de dollars (20,5%) l’année dernière. En outre, le pays a accumulé une dette extérieure record avec plus de 40 milliards de dollars, le déficit budgétaire continue de croître et a atteint 1,3 milliard en janvier-février, les IDE ont chuté de 53,8% dans la même période.

La pauvreté se reflète également dans les salaires que touchent les Bélarusses, qui sont actuellement les plus bas d’Europe (le salaire minimum officiel est de 168 euros, environ), derrière la Moldavie ou l’Ukraine, traditionnellement considérés comme les plus pauvres d’Europe. Certes, le taux de chômage reste assez bas, même si on estime qu’il a considérablement augmenté depuis 2020 malgré la fuite massive de cerveaux. Et il n’est certainement pas de 0,5% comme essayent de le montrer les sources du gouvernement bélarusse. Il est néanmoins difficile d’offrir des données exactes dans un pays où les sondages indépendants sont interdits.

Le décret n° 3 (dit décret «contre les parasites sociaux»), qui a introduit, en 2017, une taxe sur les personnes qui n’ont pas d’emploi à temps plein au Bélarus est encore un exemple d’intimidation et de contrôle sur la population qui ne peut ou ne souhaite pas travailler pour toucher une misère et nourrir l’appareil répressif. Dans les pays civilisés, on a tendance à faire l’inverse, c’est-à-dire à soutenir les personnes au chômage, sans les accuser.

Le Bélarus n’est pas très performant au cours de ces dernières décennies. Il occupe les premières positions en Europe au regard du taux de suicide, de l’alcoolisme, de l’inflation, du commerce illicite ou du nombre d’officiers de polices par personne. En même temps, il se positionne fermement en bas d’autres classements comme la 41e place sur 44 pour l’espérance de vie en Europe ou la 158e place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse. En 202l, il fait aussi partie des dix pires pays pour les travailleurs, selon l’indice de la Confédération syndicale internationale (CSI).

Pour les amateurs de dictatures contemporaines, une visite au cœur géographique de l’Europe est vivement conseillée. Les sensations fortes y sont garanties, et le rapport onusien du Comité contre la torture ou celui du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Bélarus est éloquent.

Opinions Agora Nikita Taranko Acosta Bélarus

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