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La grenouille et le bœuf ou le petit Grand Musée des Genevois

Notre invité évoque la ­direction et la vocation d’un grand musée patrimonial comme le Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève.
Politique muséale 

U pesce puzz da cap (proverbe lucanien). L’adage des Lucaniens remonte à la sagesse grecque antique. L’invité de La Tribune de Genève du 15 juillet dernier, en écrivant au sujet du Musée d’art et d’histoire, l’aurait-il eu en tête?

Dans ce même quotidien, le lundi 5 juillet, on a pu lire que le magistrat en charge de la culture déplorait, en substance, l’esprit borné qui règne encore au Musée, malgré tous ses efforts. Nombreux sont ceux pour lesquels ces déplorations ou reproches auront évoqué le souvenir de ce qui s’était passé il y a quelques années à la Bibliothèque de Genève.

Alors, à plusieurs reprises, le magistrat avait assuré ses administrés que certains membres du personnel n’appréciaient malheureusement pas leur nouveau directeur, car ils ne savaient pas prendre le tournant de la modernité. Quelle ne fut pas la surprise générale d’apprendre que du jour au lendemain ce directeur avait été suspendu avec effet immédiat, suite, à ce qui semble, à une petite erreur comptable, alors qu’il y avait depuis des mois, selon les calculs parus dans la presse, dix-sept membres du personnel de l’institution en question suivis par un psy. On imagine les conséquences de cette situation sur plusieurs plans, assurément plus graves, à tout prendre, aussi pour le contribuable, que la faute «épinglée» par l’organe de contrôle.

Quelques semaines plus tard, on put lire dans la presse, d’abord, que le directeur suspendu avait pris un avocat, puis que la Ville avait cherché un arrangement, enfin que celui-ci avait été rapidement trouvé… On sait qu’à la Ville, fort heureusement en règle générale, pour se «séparer» d’un collaborateur, il faut que celui-ci ait reçu plusieurs avertissements de gravité croissante, ce qui n’avait de toute évidence pas été le cas.

Le thème est donné, il est susceptible de variations: au Musée, en particulier, les conservateurs, ringards – cela va sans dire – incapables hier d’apprécier le Projet Nouvel et, aujourd’hui, les envolées apportées par des pontifes appelés à renouveler la conception même du musée, sont mis à l’écart des grands projets; de ces grands projets censés donner de la visibilité à l’institution et susciter l’enthousiasme du public en faisant exploser le fameux audimat. Le problème date de l’époque du funeste audit, avec nouveau directeur à la clé, d’il y a quelque douze ans, mais il semble grossir toujours et encore.

Les conservateurs, là où ils existent encore, déclassés à un rang subalterne, mettent de moins en moins en valeur les collections confiées à leurs soins, ils sont devenus les petites mains qui préparent le déménagement (lire «l’enfouissement», des collections dans un dépôt sous-arvien et sub-rhodanien, dont elles ne sortiront pas plus facilement que les empereurs austro-hongrois du Kaisergruft à Vienne). Gageons que ceux qui ont le sens et l’ambition liés à leur métier ne manqueront pas l’occasion de quitter la nacelle de Konrad Witz dès qu’elle se présentera.

Comme l’a bien montré le prof. Elsig, dans l’enquête citée de La Tribune, le problème se trouve à la racine. En effet, on peut ajouter une caméra à un appareil de téléphone, avec de nombreux avantages, mais on ne peut pas transformer un musée destiné à conserver, étudier et présenter des objets, dans un théâtre de commedia dell’arte, un local de happenings, sans le dénaturer, et donc, au lieu de créer un cercle vertueux durable, en faire un monstre condamné d’avance.

A Genève, on est en train de perdre le sens de la mesure dans beaucoup de domaines: en particulier, au Musée, de clinquantes personnalités sont censées offrir le regard «sexy» sur les collections qui manque pour les faire vivre, tantôt en les utilisant, tantôt en allant jusqu’à en faire totalement abstraction, afin de galvaniser un public avide de sensations nouvelles: en un mot, pour exister aujourd’hui, le Musée devrait devenir, tout… sauf un musée, au détriment de ce qu’il conserve et de sa vocation, au profit de ceux qui prétendent tisser la toile invisible aux sots.

Usque tandem? «Jusqu’à quand?», on se demande avec Cicéron.

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