L’esprit de 2001
Il y a vingt ans très exactement, la police italienne investissait l’Ecole Armando Diaz, à Gênes, QG des opposant·es au Sommet du G8, mettant un terme, dans un déchainement de violence policière, à trois jours de mobilisation altermondialiste marquée par l’assassinat, deux jours plus tôt, de Carlo Giulani. Quelque treize dirigeants policiers seront condamnés pour les sévices, détentions illégales et autres actes de torture commis contre plusieurs dizaines de militant·es. Mais bénéficieront d’une grâce. En revanche, le gendarme qui avait abattu à bout portant, depuis un véhicule, un jeune homme de 23 ans le menaçant d’un simple extincteur a bénéficié d’un non-lieu.
La mémoire de Gênes, de Carlo Giuliani baignant dans une mare de sang, de ces 200 000 manifestant·es pacifiques, coincé·es sur la falaise dans les lacrymos entre Black Bloc et carabiniers, de son impossible désobéissance civile contre la Zone rouge, a ébranlé une génération, qui voyait son élan altermondialiste percuter la raison d’Etat et la déraison de quelques-uns des siens. Un mois plus tôt, Göteborg avait préfiguré Gênes. Des balles réelles tirées sur des lanceur·euses de pierre avaient résonné en marge du Sommet européen. Elles frappaient de plein fouet le doux optimisme de Porto Alegre, où en janvier de la même année avaient convergé paysan·nes, syndicalistes, autochtones, féministes et écologistes du monde entier. Après l’été 2001, le mouvement contre la mondialisation néolibérale ne sera plus jamais le même.
Contrairement à une légende tenace, Gênes n’aura pas été l’apogée du mouvement. Né au Sud, il connaîtra des heures fructueuses à Porto Alegre entre 2002 et 2005, à Mumbai en 2004. Au Nord, Florence verra près d’un million de manifestant·es défiler en 2002. A chaque fois sans incidents, preuve que les rituels de casse et d’affrontements n’étaient ni intrinsèques ni nécessaires à la lutte.
Si la répression a incontestablement affaibli le mouvement altermondialiste, elle n’en fut pas le premier frein. Sans doute la difficulté à sortir les luttes des frontières nationales avait été sous-estimée à la chaleur des premiers regroupements. Des réseaux ont émergé, des grammaires communes ont été adoptées dans des luttes fondamentales – paysannes, syndicales, féministes, climatiques – allant parfois jusqu’à s’inscrire dans le droit international, sans pour autant parvenir à mettre en place un rapport de force, ne serait-ce que continental, hors de l’Amérique latine.
Vingt ans plus tard, pourtant, si le G8 – réduit à 7 – et l’OMC n’esquissent plus un directoire du monde à domination occidentale, le pouvoir des multinationales demeure intact, les inégalités sont croissantes et la destruction de la planète bien avancée. Tandis que le mouvement social global, presque aphone, s’est replié sur des luttes locales, sectorielles voire intestines.
Si le souvenir de Gênes, Genève, Florence, Québec, Cancun, Bamako, Tunis ou Porto Alegre ne devait laisser qu’un espoir, ce serait de retrouver cet enthousiasme fédérateur, l’esprit d’ouverture d’un mouvement qui avait fait de la convergence des luttes par le dialogue sa boussole. Et non le mantra d’une élite.