En Grèce, «les choses ont empiré»
Le 12 mars 2020, j’écrivais un article intitulé «Un nuage néofasciste plane au-dessus des frontières entre la Grèce et la Turquie»1>https://cadtm.org/Un-nuage-neo-fasciste-plane-au-dessus-des-frontieres-entre-la-Grece-et-la publié sur le site du CADTM. «A l’époque», je pensais que la situation ne pouvait pas être pire pour les personnes demandeuses d’asile en Grèce. Sauf que les événements décrits dans mon précédent article ont eu lieu il y a moins de dix-huit mois: «l’époque» n’est donc pas si lointaine. Depuis, les choses ont empiré. Les images qui nous parviennent de Moria 2.0 – le premier camp de Moria a été incendié le 8 septembre 2020 – en attestent.
Le camp Moria 2.0 (ou Kara Tepe), situé sur un ancien champ de tir militaire, est aussi inhumain que le précédent: manque d’eau, d’électricité, des tentes qui ne protègent ni contre la pluie, ni contre les tempêtes, ni contre la neige. Des personnes atteintes de Covid-19 y vivent avec des enfants, des femmes enceintes, des personnes handicapées, des personnes âgées, etc. Au total, ce camp accueille 10 000 personnes.
Peu avant la signature du Pacte sur la migration et l’asile, présenté le 23 septembre 2020, l’Union européenne avait laissé entendre qu’un quota obligatoire d’accueil de personnes demandeuses d’asile par pays serait envisagé. Sans surprise, les forces xénophobes des gouvernements européens ont été plus fortes que celles des milliers de voix qui se sont élevées pour un pacte solidaire, un accueil humain et la fin de Moria2>Une pétition signée par plus de 180 000 individus, 400 organisations, groupes, membres du parlement européen et politicien·nes sur change.org; accès: https://bit.ly/3z7zVE4. Les quotas sont tombés à l’eau. La Commission européenne présentait son nouveau Pacte en disant avoir trouvé «la balance entre solidarité et responsabilité» – une manière de dire que les choses ne changeraient pas. Les xénophobes avaient gagné une bataille importante.
Lorsque l’incendie s’est déclaré au camp Moria 1, la Commission européenne annonçait «No more Morias» (plus de Morias). Mais, comme l’écrivait un journaliste quelques jours plus tard: «‘No More Moria’ s’est transformé en ‘Kara Tepe inondé’»)3>www.keeptalkinggreece.com/2020/10/09/kara-tepe-camp-lesvos-flooded/.
Depuis mars 2020, les conditions de vie des personnes demandeuses d’asile aux frontières de la Grèce se sont dégradées, le camp de Moria a ressurgi malgré les flammes et le nuage néofasciste s’est renforcé grâce au Pacte européen sur la migration et l’asile.
Extrait de mon premier article: L’Europe vit une période sombre, la situation aux frontières entre la Grèce et la Turquie en atteste. Les discours se multiplient et l’heure est à la confusion. Chacun·e apporte «son soutien» à l’une ou l’autre partie «victime» – tantôt de la dictature d’Erdogan, tantôt d’une prétendue «invasion» de personnes migrantes, tantôt d’une folie humaine déjà installée depuis bien trop longtemps. Une folie humaine qui est restée dans l’ombre des préoccupations grâce à un gros chèque que l’Union européenne s’est accordée à verser à Erdogan.
Six milliards d’euros, c’est le montant reçu par la Turquie à la suite de l’accord signé entre son Etat et l’UE en 2016. Six milliards d’euros, c’est le prix que l’Europe de «l’Union» a payé pour son incapacité à exprimer son refus «d’accueillir» des personnes en exil. Des personnes qui fuient les nombreuses guerres et conflits qui sévissent dans leur pays. Six milliards d’euros, c’est bien plus que ce que l’UE n’aurait accepté de rembourser à la Grèce sur les intérêts de sa dette. Dépenser pour refouler des personnes extrêmement vulnérables, oui; annuler la dette illégitime de la Grèce pour éviter le massacre social, non. On ne peut plus clairement résumer les politiques de l’UE.
Nulle question de «place disponible à l’accueil», nulle question «d’origine»; que ces personnes migrantes viennent de Syrie, de Palestine, d’Irak, d’Afghanistan ou d’ailleurs, peu importe: il s’agit de créer une Europe de l’investissement vide de sens et pleine d’argent, vide de gens et pleine de morts.
Les mots ne sont pas encore assez durs et la colère est légitime.
La Grèce est devenue aujourd’hui un territoire de toutes les batailles. Des personnes tentent de sauver ce qu’il reste de notre humanité, en sauvant des vies au large des côtes grecques et turques, tandis que d’autres se lancent dans une croisade contre l’«étranger» et ses «allié·es». La police antiémeute grecque (MAT), chargée de canons à eau, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes, avait été envoyée par bateau sur ordre du gouvernement à la fin février 2020 sur les îles de la mer Egée pour réprimer les populations locales, en colère d’apprendre la réquisition par le gouvernement de leurs petites propriétés (des terrains) pour la construction de nouveaux centres fermés.
Ce même gouvernement avait annoncé quelques jours plus tôt son plan en trois points: construire de nouveaux centres fermés pour 20 000 demandeurs et demandeuses d’asile (alors que les camps comptent au total plus de 40 000 personnes aujourd’hui), renforcer les frontières physiques, refuser presque automatiquement les potentielles nouvelles demandes d’asile. S’en sont ensuivies des images de guerre civile – des affrontements violents ont éclaté entre la population et les autorités locales d’un côté, et, de l’autre, la police de l’Etat – qui laissaient présager le pire.
Les partis néofascistes d’Europe n’ont pas manqué d’y voir une opportunité à leur propagande raciste et hypocrite. Le 10 mars 2020, le parti flamand Vlaams Belang (Parti d’extrême droite en Belgique) organisait un rassemblement devant l’ambassade de Turquie à Bruxelles pour soutenir les Grec·ques qui «résistent avec vigueur» au «déboulement» des milliers de personnes migrantes envoyées par le «dictateur turc Erdogan». Il se vantait d’être le seul parti «solidaire du peuple grec»! Ce discours écœurant a été lu sur les réseaux sociaux par au moins des centaines de sympathisant·es, dont des Grec·ques qui remerciaient le Vlaams Belang de son soutien au pays! A l’heure où le peuple grec luttait pour sa survie contre les mesures d’austérité imposées par la Troïka, le Vlaams Belang tenait un discours radicalement opposé.
Notes
Eva Betavatzi est membre du CADTM Belgique (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes). Article extrait du magazine AVP – Les autres voix de la planète, dossier «Dettes & migrations: divisions internationales au service du capital» paru en mai 2021, publié sur www.cadtm.org/