Quand la peur empêche d’aller chez le médecin
La situation d’insécurité a atteint des niveaux si alarmants à Port-au-Prince, la capitale haïtienne, que les personnes ayant besoin de soins médicaux refusent de quitter leur domicile par peur d’être agressées. Le manque d’approvisionnement en oxygène dû aux barrages routiers rend impossible le traitement des pathologies respiratoires liées au Covid-19. Il s’agit de l’une des crises humanitaires oubliées les plus meurtrières du monde.
Erlande Jacques, une Haïtienne qui fréquente les projets Médecins du Monde dans le quartier de Cité Soleil, raconte: «Comment voulez-vous que je quitte ma maison? Chaque jour, vous entendez des coups de feu, les gangs s’affrontent et vous découvrez que telle personne a été tuée. Je ne peux pas risquer ma vie ou celle de mes enfants pour aller à l’hôpital.» Depuis le 1er juin, la situation déjà précaire dans les centres de santé s’est de plus en plus dégradée. Depuis cette date, dans l’aire métropolitaine de la capitale – plus précisément les quartiers de Martissant, de Cité Soleil, de Bel Air et de Delmas 2 –, l’affrontement entre gangs s’est intensifié. En conséquence, on estime que plus de 1000 personnes ont dû se déplacer, cherchant refuge dans des parcs, des places et des centres sportifs.
Les patient·es n’arrivent pas et le personnel de santé désespère. Les soignant·es ne peuvent parfois pas se rendre eux-mêmes sur leur lieu de travail et leur principal souci est la perte des progrès accomplis: «La situation est insupportable! Les femmes enceintes refusent d’aller à l’hôpital pour les suivis indispensables car elles craignent les violences actuelles dans les rues. On a perdu ce qu’on a construit ces dernières années en l’espace de quelques mois», s’exclame Jacqueline Delmita Joseph, sage-femme à Cité Soleil.
L’insécurité généralisée imprègne tout. Circuler librement est devenu un défi quotidien pour la population résidente dans la métropole et les régions avoisinantes. Affrontements entre groupes armés, fusillades, incendies de maisons, pillages de magasins, blocages de la circulation… Une bonne partie des personnes qui parviennent à rejoindre les hôpitaux arrivent désormais avec des blessures causées dans ces conflits. Le chaos a également conduit à une augmentation des cas de violence envers les femmes et les filles. «D’une certaine manière, c’est un pays qui n’existe pas», conclut José Venceslá, coordinateur de Médecins du Monde Espagne en Haïti, face à l’inaction tant du gouvernement que des instances internationales, en dépit de la situation critique.
Les différents mouvements de protestation contre le régime politique actuel ne facilitent pas la mobilité d’un point à un autre de la ville. Les rues sont bloquées par des barricades de pneus, de câbles, voire des murs de feu, ce qui rend difficile le passage des ambulances, du personnel médical, des patient·es et de l’approvisionnement en carburant et en fournitures de soins. Par exemple, à l’hôpital adventiste d’Haïti, les urgences respiratoires ne sont plus traitées depuis le 7 juin par manque d’approvisionnement en oxygène, à cause des barrages routiers. La veille, l’hôpital Saint-Luc avait lancé un appel public pour obtenir ce produit de base, notamment dans la lutte contre certaines formes graves du Covid-19, alors que le pays ne dispose pas de vaccins.
«La situation d’insécurité actuelle signifie que nous devons périodiquement nous cacher pour éviter les tirs. Notre quartier est terrifié. Je ne peux pas faire mon travail comme je le devrais. Cette situation a des conséquences terribles pour le suivi des enfants malnutris, des femmes enceintes et des familles en situation de santé vulnérable», explique Brutus Jean, agent de santé à l’hôpital Fontaine de Cité Soleil.
La situation – et ses graves conséquences pour la santé des Haïtien·nes – n’est pas uniquement liée à la pénurie permanente de ressources humaines et financières du pays, mais aussi aux conséquences plus palpables de la crise sociale et politique à laquelle Haïti est confronté depuis une décennie. Au cours des presque deux semaines écoulées depuis l’aggravation du contexte dans la capitale, le gouvernement et la communauté internationale sont restés silencieux. Personne n’a condamné la violence et le gouvernement n’est intervenu d’aucune manière. La population est méfiante cause de l’inaction des pouvoirs publics. Médecins du Monde demande une réaction urgente de la part du gouvernement haïtien et de la communauté internationale.