La transition maintenant, mais comment?
La transition est un enjeu de transformation sociale. Celle-ci répond à des méthodes précises, exige de ceux et celles qui la pensent cohérence intellectuelle et effort didactique. Aucun changement en profondeur n’est possible sans construction d’un consensus social, sans stratégie politique inclusive. La clé est de savoir comment rendre acceptables aux diverses catégories d’acteurs ses propositions et de décrire clairement les étapes qui permettent aux investissements, aux emplois et aux techniques de s’inscrire dans une nouvelle trajectoire.
Cela signifie concilier les fins de mois de la Planète avec celles des individus et des entreprises, pour reprendre la formule chère à Nicolas Hulot. Dans les régions rurales, le refus de la loi sur le CO2 a été massif et le sens de l’effort à accomplir n’a nullement été compris; le message des adversaires de la loi a été d’opposer les avantages du statu quo aux risques du changement, et c’était l’inverse que ses partisans auraient dû propager.
Le mouvement climatique n’a aucunement compris le momentum politique et, pire, a prêté main forte aux destructeurs de ce qu’il avait réussi à obtenir: un bon compromis sur lequel prendre appui pour aller plus loin. Tout au contraire, il a participé à détruire son propre cadre d’action et à écorner la légitimité politique de l’urgence climatique.
D’autres fréquentes erreurs de perspective sont une critique des éoliennes, du solaire, de l’hydrogène ou de la voiture électrique qui occulte que nous dépendons actuellement à plus de 75% des pires formes d’énergie: le fossile et le fissile. Or, une éolienne mal placée se démonte en peu de temps – pour une centrale nucléaire, il faut compter en décennies…
On ne pourra pas en quelques années diminuer d’un facteur 4 nos consommations d’énergie. Mais la voiture électrique (pour prendre cet exemple) peut et doit s’inscrire dans une réduction des besoins de déplacement et un développement, là où cela fait sens, du covoiturage, de la mobilité douce et des transports publics. Quant aux composants problématiques (terres rares, etc.) souvent dénoncés, il n’y a aucune raison qu’ils ne puissent pas être gérés selon les principes de l’économie circulaire ni qu’on n’en trouvera pas de meilleurs. Et gageons qu’aucun de leurs contempteurs n’a encore renoncé à son ordinateur ou à son téléphone portable, tout autant polluants.
Autre affirmation souvent répétée: donner une valeur à la nature consacrerait sa «marchandisation», sa réduction anthropocentrique à ses seules utilités pour l’espèce humaine. En réalité, c’est une rectification des comptabilités afin que celles-ci indiquent la vraie valeur de ce que nous prélevons et nous conduisent à limiter son utilisation à ses capacités de renouvellement.
Enfin, en qualifiant de greenwashing le moindre effort d’une entité qui, comme nous tous, a encore plein de choses à se reprocher, on la conduit à rentrer dans sa coquille: on s’expose moins en ne faisant rien qu’en cherchant timidement à explorer les tendances émergentes. C’est tuer l’envie d’agir et s’adonner à une logique du tout ou rien, qui ne conduit qu’à consolider le rien. Tout et tout de suite, ça n’existe pas; ce qui compte est de se mettre en chemin.
Ainsi la critique excessive conduit à bétonner (dans tous les sens du terme) le statu quo. Il faut partir des situations de vie des personnes et des entreprises, pour aller vers ce qui nécessaire, et savoir le faire reconnaître comme tel. Et pour avoir la moindre chance d’être écouté, il faut s’adresser aux divers milieux dans leur langage.
Penser avoir raison tout seul, ou sans lien avec les étapes d’une progression et les mécanismes présidant aux changements sociétaux, n’est qu’une forme d’égarement et une perte de temps irresponsable sur le chemin de la durabilité. Pour revenir au monde rural: si ne serait-ce qu’une partie des 1,3 million de personnes ayant soutenu les initiatives anti-pesticides achetaient un peu plus bio, ce serait là un puissant levier de changement!
René Longet est expert en durabilité.