La censure, boussole droitière
Quelques jours avant la votation sur l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, en mars dernier, Christian Lüscher, fervent défenseur libéral-radical de cet accord, a obtenu la censure d’un article de Gotham City mentionnant les intérêts de son client Hashim Djojohadikusumo dans l’huile de palme. L’avocat défend ce magnat indonésien pesant 650 millions de dollars, qui avait fait l’objet d’une enquête pénale fiscale sur des soupçons de soustraction de montants importants d’impôts et dont le fisc genevois réclamait plus de 100 millions de francs d’arriérés. C’est grâce aux mesures provisionnelles que la justice a pu censurer cet article. Gotham City, spécialisé dans les affaires de corruption, a alerté médias et politiques sur la réforme en cours, passée inaperçue, visant à faciliter la censure urgente d’un article ou d’une émission, via les mesures provisionnelles, si elle estime qu’une entreprise ou une personne serait atteinte de façon particulièrement grave. En biffant l’adverbe «particulièrement», le recours à cet outil déjà controversé et problématique, puisqu’il sert surtout les intérêts des puissants, serait facilité. Pire, en ajoutant à la condition «l’atteinte est imminente» celle qu’elle «est en cours», le parlement s’apprête à permettre le retrait d’articles déjà parus, sans même entendre les arguments des médias.
Pour les sénateurs de droite qui appuient cette réforme, il s’agirait de protéger des individus lambdas contre des médias surpuissants et putassiers, dotés de services juridiques très fournis. La réalité est tout autre, comme le montrent les nombreux déboires judiciaires de Gotham City, petit média porté par une poignée de confrères et consoeurs méritant·es: cette prétendue retouche s’inscrit dans la multiplication des procédures juridiques dites bâillons qui épuisent psychologiquement et financièrement les rédactions. Et cela fonctionne: sur le terrain, lesdits services juridiques des groupes de médias pourtant puissants ont tendance à censurer les journalistes qui souhaiteraient nommer les notables empêtrés dans des affaires. Pourvu que le National suive l’intérêt commun et pas celui des oligarques et autres Christian Lüscher.