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Le nucléaire iranien et l’avènement d’un monde multipolaire

 Les discussions sur la filière nucléaire iranienne relancées en avril pourraient aboutir à un retour au dispositif prévu par l’accord de Vienne, selon l’économiste Xavier Dupret. Eclairage.
Géopolitique

Les Etats-Unis et l’Iran sont à couteaux tirés depuis la Révolution islamique de 1979. La conclusion à Vienne en juillet 2015 du Plan d’action global commun (PAGC) au sujet de la filière nucléaire iranienne semblait avoir quelque peu atténué les tensions. C’était sans compter sur les liens privilégiés de Donald Trump avec la monarchie saoudienne et le gouvernement israélien.

Le magnat républicain n’a cessé de dénoncer ce qui constituait, à ses yeux, le «pire accord jamais conclu» par son pays. La prestation de serment en janvier 2017 du 45ème président des Etats-Unis d’Amérique sonnait donc le glas d’une initiative qui, paradoxalement, n’était en rien un échec. Les accords de Vienne avaient été pleinement respectés par le gouvernement iranien. Rappelons, à ce propos, que les négociations de 2015 avaient débouché sur un deal entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, auxquels s’ajoutaient l’Allemagne et l’Union européenne. Le programme était clair: la fin des sanctions financières et commerciales contre Téhéran en échange de l’engagement par les autorités iraniennes de ne jamais se doter de la bombe atomique et donc de ne pas enrichir d’uranium au-delà d’une limite de 3,67%. La bonne application par Téhéran des dispositions du plan devait faire l’objet d’inspections, inopinées, de la part de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Alors que ces dernières n’avaient jamais démontré d’infractions de la part des Iraniens, Washington décidait, en 2018, de se retirer unilatéralement du PAGC et d’étouffer l’économie iranienne.

L’Europe était mise devant le fait accompli. Sa profonde dépendance militaire à l’égard de l’OTAN l’a vite dissuadée d’opposer toute forme de résistance sérieuse aux desiderata de l’Administration Trump. A vrai dire, les grands groupes européens s’étaient, à cette époque, résignés à ne pas s’engager dans d’ambitieux programmes d’investissements en Iran de peur de faire l’objet à leur tour de pénalités. Les multinationales du Vieux Continent gardaient en mémoire l’amende record (8,9 milliards de dollars) qui avait été infligée en 2013 à BNP Paribas. Les Européens ont, certes, tenté de bricoler des solutions dans l’espoir de sauver ce qui pouvait encore l’être de la normalisation de leurs relations avec l’Iran. Aucun de ces essais ne permettait cependant à Téhéran d’exporter du pétrole chez nous, le secteur iranien des hydrocarbures ayant été soigneusement blacklisté par Washington. Vu l’importance de l’or noir pour son économie, l’Iran était dans l’obligation de riposter et revoyait à la hausse les seuils d’enrichissement de son industrie nucléaire.

Au final, la stratégie trumpiste s’est terminée en queue de poisson. Téhéran a, en effet, opté pour une politique de substitution aux importations qui a permis d’atténuer l’impact des sanctions sur sa balance des paiements. De plus, l’Iran s’est rapproché davantage encore de Moscou et de Pékin. C’est ainsi que la Chine n’a jamais cessé d’importer du pétrole iranien.

Ces faits ne plaidaient d’évidence guère en faveur du maintien d’une pression maximale à l’encontre de Téhéran, ce que Joe Biden n’avait pas manqué de souligner durant la campagne présidentielle de 2020. Las, après la victoire démocrate, la volonté de revenir à l’esprit de 2015 s’était nettement estompée du côté de la Maison-Blanche, en raison principalement de la virulente opposition du camp républicain.

Néanmoins, à l’heure où ces lignes sont écrites (3 juin 2021), les pourparlers entre les Occidentaux et les Iraniens, qui ont repris au mois d’avril de cette année, paraissent susceptibles d’aboutir à un retour au dispositif prévu par le PAGC. Comment expliquer ce revirement? A la fin du mois de mars, les gouvernements iranien et chinois ont conclu un accord de partenariat stratégique d’une durée de 25 ans comportant un volet «investissements» de 400 milliards de dollars. Les Etats-Unis savent désormais qu’ils ne sont plus seuls à mener la danse au Moyen-Orient.

* Economiste, Fondation Joseph Jacquemotte, Bruxelles.

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