Un cirque angoissant
La deuxième meilleure joueuse mondiale de tennis, la Japonaise Naomi Osaka, a renoncé à Roland Garros, après avoir écopé d’une amende de 15’000 dollars et avoir été menacée d’en être exclue.
Sa faute? Après son premier match, elle n’a pas participé dimanche à la conférence de presse, violant une obligation contractuelle. Elle avait au préalable annoncé qu’elle refuserait de participer à ces conférences afin de préserver sa santé mentale. «Souvent, on nous pose des questions qu’on nous a déjà posées de nombreuses fois, ou (…) qui nous font douter et je ne vais pas me soumettre à des personnes qui doutent de moi», avait-elle tweeté avant le tournoi. En annonçant lundi son retrait, elle a livré son moi intérieur en confiant avoir souffert de grandes périodes de dépressions et ressentir «de grandes vagues d’anxiété avant de parler aux médias». Cette «confidence», de la part d’une telle personnalité publique, est bienvenue pour aider à lever le tabou qui persiste encore sur les affections psychiques, trop souvent perçues comme une faiblesse ou comme des maladies honteuses.
C’est d’autant plus vrai dans le monde du sport où le culte de l’invincibilité domine, où le vocabulaire guerrier sert de métaphores peu inspirées et où les pressions, quand il ne s’agit pas de maltraitances, sont justement de nature à faire craquer les plus solides. La parole, donc, celle d’une joueuse de 23 ans, s’est paradoxalement libérée pour réclamer son droit au silence, celui d’une star d’origine haïtienne, qui s’était distinguée en dénonçant le racisme anti-Noir.
Mais beaucoup déclarent qu’elle a perdu une occasion de se taire, s’indignant qu’elle devienne avare de sa parole. Paradoxal, décidément. Comme toujours, la réaction est violente lorsqu’un système de pouvoir est ébranlé. En l’espèce, celui du sport business reposant sur la grand-messe médiatique. Car forcer un pays à légaliser à nouveau la consommation d’alcool dans ses stades pour satisfaire un sponsor – la Coupe du monde de foot au Brésil en 2014 – ou imposer le rituel convenu des questions-réponses plus ou moins banales ou intelligentes, originales ou formatées repose sur la même logique liberticide et de l’audimat.
Cela fait partie du job et Osaka a été remise au pas pour éviter un dangereux effet boule de neige, a-t-il été dit. Son travail, pourtant, n’est-il pas de jouer au tennis? Celui des journalistes n’est-il pas de transmettre avec leurs mots l’émotion du spectacle sportif? Pourtant, comme des barons de cour, beaucoup ont moqué le prétendu caprice d’une superstar. Au lieu d’accueillir ses angoisses avec bienveillance et d’entendre des mots que d’autres aimeraient mais ne peuvent dire.