Le mépris affiché du patriarcat
C’était il y a presque deux ans. Plus de 500 000 personnes mobilisées dans le pays, des manifestations et des actions spectaculaires, une vague violette sans précédent partout en Suisse. Et pourtant, l’égalité n’a pas progressé depuis: pas d’avancée en matière d’égalité salariale, de conditions de travail, de reconnaissance du travail non rémunéré ou encore de rentes vieillesse.
La pandémie ne peut pas expliquer cet immobilisme. Au contraire, elle a mis en évidence la situation particulièrement précaire de certaines travailleuses, notamment les employées domestiques, et a souligné le caractère essentiel de nombreuses activités effectuées par les femmes dans les soins, la vente… Le personnel soignant a été applaudi, puis oublié, alors que le travail et la pression n’ont jamais diminué. Du côté des autorités et des employeurs, les primes ont davantage ressemblé à une insulte qu’à une véritable reconnaissance du travail effectué. Les conditions de travail dans la vente sont toujours particulièrement difficiles, sans parler des salaires. Pourtant, après avoir redécouvert à quel point les commerces de proximité étaient essentiels, rien n’a bougé.
Malgré la «libération de la parole» rendue possible par les mouvements #metoo, #balance ton porc, ou d’autres, la culture du viol reste dominante, les agressions sexuelles et sexistes perdurent et c’est encore et toujours aux femmes de justifier de leur tenue à l’école, dans la rue, au travail…
L’unique avancée, obtenue très rapidement, a été un congé paternité. Alors, oui, nous pouvons nous en réjouir. Mais c’est quand même difficile de ne pas prendre cela pour un camouflet. De voir que dans une liste exhaustive de revendications, celle sur laquelle nous obtenons quelque chose soit justement celle qui concerne principalement les hommes. Une mesure tellement minimaliste – deux semaines non obligatoires et pouvant être fractionnées – qu’elle ne changera rien aux tâches de soins et prise en charge des enfants… qui continueront à être principalement portées par les femmes.
Autre mesure, symbolique celle-là, la session des femmes, organisée en octobre prochain au parlement à l’occasion des 50 ans du suffrage féminin. On voudrait nous faire croire que deux jours, oui deux jours, pendant lesquels elles pourront discuter d’objets ayant trait à l’égalité, vont réellement faire avancer la situation. Les acquis de ces dernières décennies n’ont pas été gagnés dans les parlements, mais grâce à des mobilisations d’ampleur: loi sur l’égalité, assurance maternité, solution des délais…
Pire, des attaques de plus en plus virulentes se font à l’encontre de l’écriture épicène ou de la liberté de disposer de son corps. La violence des attaques est démesurée compte tenu de la demande somme toute assez modeste d’apparaître dans le langage. Des objets parlementaires, des demandes d’interdiction. Il ne faudra pas attendre longtemps pour que certains cherchent à suivre l’exemple de l’école française, où il est désormais punissable de rendre le féminin visible dans la langue.
Du côté des revendications sur les corps, des attaques normatives inédites ont eu cours dans le cadre scolaire. Remises au pas, rappels à l’ordre, les corps des jeunes femmes sont sexualisés par les règlements des écoles: obligation de porter un soutien-gorge, mais interdiction de le montrer; obligation de se couvrir, quitte à se voir affublée d’un T-shirt XXL.
Pire encore, nous avons subi une confiscation raciste des revendications féministes lorsque, sous couvert de droit des femmes, une droite anti-féministe s’est dressée comme pourfendeuse des soi-disant libertés bafouées des musulmanes. Cette confiscation a durement éprouvé les féministes, divisées sur la stratégie à adopter. Pourtant, le mouvement de 2019 se voulait profondément intersectionnel, mêlant lutte féministe, lutte antiraciste, et lutte contre l’homo- ou la transphobie. A nous de ne pas nous laisser diviser lors des prochaines attaques, déjà annoncées, contre le voile à l’école.
Enfin, le véritable affront est de revenir à la charge avec l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Après deux refus en votation populaire, cette question faisait également partie des revendications de la grève de 2019. Pourtant, tant le Conseil des Etats que le Conseil national ont accepté le projet d’AVS 21. Visiblement, les élu·es ne se préoccupent pas du sort de la moitié de la population, de leurs conditions de travail, de leur précarité.
Il y a deux ans, nous demandions des droits, mais aussi du respect. Il faudrait peut-être ré-insister sur ce point, car l’absence de toute avancée, l’agression grandissante face à des revendications légitimes ou encore les attaques frontales sur des acquis ne sont qu’une démonstration du mépris de la société patriarcale à l’égard des femmes et de leurs revendications. Et ce n’est pas seulement un système qui nous méprise, mais aussi un certain nombre d’hommes, et malheureusement de femmes, qui font des motions, proposent des projets de loi, votent dans des commissions… Visiblement lorsque plus d’un demi-million de personnes se mobilisent, cela n’a aucun effet sur les politicien·nes. Alors il est temps d’imaginer de nouveaux modes d’action, de nouvelles formes de mobilisation pour faire entendre nos voix et obtenir le respect auquel chacune de nous a droit.
* Investigatrices en études genre.