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Vous avez dit unité?

A l’aube de la campagne des élections présidentielles d’avril 2022, les partis se scrutent. Grande absente des débats en vue d’une coalition gauche-verts, la politique étrangère semble pourtant emmagasiner de réelles divergences entre visions écologiste et progressiste, note Serge Halimi. Eclairage.
France

Que l’on souhaite ou non une alliance de la gauche et des écologistes en vue de l’élection présidentielle française de l’année prochaine, les termes de ce débat ont confirmé l’analphabétisme géopolitique de la plupart des journalistes. Car, à supposer qu’aucune divergence de politique économique et sociale n’interdise aux formations situées à gauche de M. Emmanuel Macron de faire front commun contre lui dès le premier tour du scrutin, peut-on en dire autant pour la politique étrangère? Le plus étonnant est que cette question n’ait intéressé personne. Les rapports avec les Etats-Unis, la Chine, la Russie; la politique de la France au Proche-Orient, en Afrique, en Amérique latine; la force de frappe? Aucun de ces sujets ne semble avoir été abordé par les dirigeants de gauche lors de leur rencontre du 17 avril dernier. Mais, loin de s’en montrer surpris, les médias ont préféré réserver leur glose à des questions aussi décisives pour l’avenir du pays que les repas végétariens dans des cantines scolaires de Lyon, les «réunions non mixtes» d’un syndicat étudiant ou le refus d’une subvention à un aéro-club de Poitiers.

Au point même que, quand l’initiateur de la réunion unitaire, M. Yannick Jadot, a publié une analyse de politique étrangère néoconservatrice, son contenu est passé inaperçu1>«Yannick Jadot: ‘Les régimes autoritaires ne comprennent que le rapport de force’», Le Monde, 15 avril 2021.. Pourtant, plusieurs passages, qu’on croirait rédigés dans un bureau du Pentagone, situent le dirigeant écologiste à droite de M. Macron. Ainsi, il attribue la «montée des tensions internationales» à la seule «agressivité croissante des régimes autoritaires qui dirigent la Chine, la Russie ou encore la Turquie». Il semblerait donc que, pour lui, les provocations ne se situent jamais du côté des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite ou d’Israël.

Même strabisme atlantiste lorsque M. Jadot réserve à Moscou et à Pékin le monopole des «fausses nouvelles», du soutien à des «mouvements extrémistes» ou du rachat de «nos entreprises-clés». Il paraît oublier ainsi les pseudo-«armes de destruction massive» en Irak, l’appui occidental et saoudien au Front Al-Nosra syrien – affilié à Al-Qaida –, le brigandage américain qui inflige des amendes extravagantes aux entreprises concurrentes et qui a contraint Alstom à passer sous la coupe de General Electric2>Lire Jean-Michel Quatrepoint, «Au nom de la loi… américaine», Le Monde diplomatique, janvier 2017, et, sur Alstom, le récit de Arnaud Montebourg dans L’Engagement, Grasset, Paris, 2020.. Logiquement, son texte exige par ailleurs, comme MM. Donald Trump et Joseph Biden, que les Européens mettent «immédiatement fin au projet gazier Nord Stream 2».3>Lire Mathias Reymond, «Washington sème la zizanie sur le marché européen du gaz» et Pierre Rimbert, «Comment saboter un gazoduc», Le Monde diplomatique, mai 2021. Et il leur recommande d’appuyer l’Ukraine «confrontée à l’agression militaire de son voisin russe». Or Kiev réclame surtout son adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), une alliance militaire dont les écologistes ont promis – une de leurs «premières mesures» s’ils arrivaient aux affaires – de faire sortir la France…

L’ancien ministre socialiste Benoît Hamon prétend malgré tout que les désaccords ne sont pas «si nombreux parmi les formations écologistes et de gauche». Est-ce à dire que la France progressiste pourrait avoir demain la politique chinoise de Tokyo, la politique vénézuélienne de Washington, la politique arabe de Tel-Aviv et la politique russe de Varsovie?

Notes[+]

Eclairage paru dans Le Monde diplomatique de mai 2021.

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