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Les guerres au Liban: l’effacement de la lutte des classes?

L'histoire en mouvement

La guerre du Liban (1975-1990) peut être définie comme étant un conflit complexe de par la multitude de ses protagonistes, de ses financeurs et de l’absence d’historiographie officielle concernant cette période. A partir de 1975, ce n’est pas une guerre qui se livre au Liban, mais plusieurs qui s’emboîtent et se désemboîtent successivement. L’orientalisme et la nature confessionnelle du régime libanais soulignent toujours le caractère communautaire de ce conflit en omettant la dimension de classe, pourtant indispensable pour la compréhension de ces guerres et de leurs répercussions.

Le 13 avril 1975 marque le début «officiel» des guerres du Liban. C’est une crise ouverte depuis 1958 qui éclate au grand jour, lorsque la tentative d’assassinat du chef du parti phalangiste Pierre Gemayel échoue et est suivie du mitraillage d’un bus de sympathisants palestiniens (27 victimes) dans le quartier d’Ain el Remmaneh à Beyrouth. L’étincelle provoquée en avril 1975 débouchera sur quinze années de guerres opposant des acteurs locaux, régionaux et internationaux, qui se solderont par la double occupation du Liban par les armées syriennes et israéliennes et une amnistie pour tous les chefs de milices libanais.

Les prismes d’analyse géopolitiques pour analyser les conflits au Liban et au Moyen-Orient tombent souvent dans le piège d’une dichotomie simplificatrice. Alors que les chancelleries occidentales voient dans le nassérisme et les organisations palestiniennes les principaux éléments déstabilisateurs de la région, les analyses en provenance du Moyen-Orient tendent à expliquer que tous les ravages subis par la région proviennent de complots impérialistes. Cette dichotomie tend à négliger les dynamiques sociales et économiques essentielles à la compréhension de la réalité historique qui a mené aux événements du 13 avril 1975.

Dans le sillage de la crise politique de 1958, l’unique tentative d’établissement d’un Etat capable de saper le clientélisme des chefs de file traditionnels par le président Fouad Chehab est avortée par un système alliant libéralisme économique et confessionnalisme d’Etat. Le Liban est dès lors présenté comme étant la «Suisse du Moyen-Orient»; espace d’essor économique et de convivialité intercommunautaire. Cependant, cet essor se construit au détriment des classes populaires libanaises, et ce confessionnalisme divise bien plus qu’il ne rassemble les populations du Liban.

En 1968, les agriculteurs des plaines du Akkar s’insurgent en opposition aux conditions de métayage et à la mainmise des grands entrepreneurs. En parallèle, les cultivateurs de tabac se mobilisent pour la nationalisation de la Régie libanaise des tabacs et tombacs. Mais cette dernière est avortée par le ministre phalangiste qui cédera la régie au groupe Phillip Morris. Cet épisode se solde par la mort de deux cultivateurs abattus par l’armée le 23 janvier 1973. Des dizaines de milliers de manifestants descendent alors dans les rues en solidarité avec les cultivateurs. En 1970, les paysans et fermiers maronites des couvents de Tannourine et Mayfouq se mettent en grève et réclament une meilleure redistribution des récoltes et des terres de l’Eglise maronite.

En 1969, plus de 40% des dépôts bancaires au Liban sont contrôlés par des banques étrangères; à peine cinq années plus tard, ce pourcentage doublera. Bien que les banques opérant au Liban possèdent durant ces années une importante masse monétaire, elles ne contribuent que maigrement au développement des secteurs de production locaux, leurs principales opérations consistant à spéculer sur les devises et les obligations en Europe et aux Etats-Unis. Cet essor économique ne concerne que l’élite oligarchique libanaise. Ce système d’exploitation est maintenu par l’exode rural et l’émigration qui assurent la reconstruction continue de la stratification sociale du pays. La migration des classes populaires libanaises est le mécanisme par lequel l’Etat libanais cache ses chiffres de chômages, en forçant la main-d’œuvre libanaise à l’exil pendant que le prolétariat syrien est exploité par les oligarques libanais. En 1975, la majorité des travailleurs agricoles et un haut pourcentage de maçons sont de nationalité syrienne.

A la veille de 1975, toutes les communautés libanaises entrent en contestation de l’ordre établi et combattent la crise en s’opposant aux politiques mercantiles et communautaires de la classe politique libanaise. Ceci révèle un profond désir de changements politique, social et économique. La révolution d’octobre 2019 s’inscrit aussi dans le même sursaut populaire face à la corruption et à l’opportunisme de ses dirigeants.

Quarante-six ans après le 13 avril 1975, la dévaluation de la livre libanaise et les mobilisations du 17 octobre 2019 soulignent la détermination des classes populaires libanaises à combattre encore et toujours les politiques néolibérales de l’appareil oligarque libanais qui s’acharne à conserver ses privilèges politiques et économiques au détriment des populations du Liban.

* L’association L’Atelier-Histoire en mouvement, à Genève, contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation, info@atelier-hem.org

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