Tout ça n’empêche pas, Nicolas, qu’la Commune n’est pas morte
On l’a tuée à coups de Chassepot / A coups de mitrailleuse / Et roulée avec son drapeau / Dans la terre argileuse / Et la tourbe des bourreaux gras / Se croyait la plus forte / Tout ça n’empêche pas, Nicolas, / Qu’la Commune n’est pas morte!1>Chanson «Elle n’est pas morte», paroles d’Eugène Pottier (1886), musique de Victor Parizot (avant 1866).
La Commune de Paris a 150 ans et, en ce mois de mars, on la commémore ou la célèbre, selon que l’on continue à la haïr ou à s’en réclamer. 150 ans depuis sa naissance le 28 mars, 150 ans depuis son écrasement le 27 mai. Elle ne vécut que ces deux mois de printemps. Ecrasée durant une «Semaine sanglante» (30 000 morts) qui ne peut dans l’histoire de France être comparée qu’à la Saint-Barthélemy. Ecrasée, mais, chante Pottier, «pas morte». Défaite? sans doute: depuis 1789 (et 1848, mais seulement en Suisse), plus aucune révolution n’a vaincu, sinon des révolutions réactionnaires, comme l’islamique iranienne. C’est que la mesure même de la révolution a changé: il s’agissait en 1789 de renverser le pouvoir d’une classe, et les institutions qui matérialisaient ce pouvoir, pour lui substituer le pouvoir d’une autre classe, avec les institutions le matérialisant. Il ne s’agit plus désormais pour la révolution de substituer une classe à une autre, d’installer un pouvoir à la place d’un autre, mais d’abolir les classes, et de se passer des pouvoirs. Ou, comme nous invitait Michel Foucault, de ne plus se demander «comment on nous gouverne» mais «comment nous gouverner nous-mêmes».
A défaut de révolutions victorieuses, notre histoire est parsemée de moments révolutionnaires, de parcelles de révolutions exprimant toutes la nécessité de la révolution, mais n’en concrétisant, pour un temps, que tel ou tel élément. Chacun de ces moments néanmoins est un moment de rupture, qui exprime, en interrompant le cours «normal» des choses, à la fois la nécessité et la possibilité d’une rupture plus grande encore. Ainsi avançons nous de ruptures en ruptures, de victoires temporaires en défaites remédiables.
Enzo Traverso nous invite à prendre «les tragédies liées aux batailles perdues du passé comme un fardeau et une dette qui contiennent aussi une promesse de rachat». Car il y a à racheter dans notre histoire, et pas seulement des défaites: aussi des apparences de victoires. La Commune fut une défaite, et des défaites historiques, nous avons le culte. Il y eut la Commune, l’Ukraine de Makhno, Cronstadt, l’Espagne libertaire… mais ces révolutions naissantes, au nom de quoi, et par qui, furent-elles étouffées? La Commune par les républicains bourgeois; Makhno et Cronstadt par les bolcheviks; l’Espagne libertaire par la sainte alliance des staliniens et des franquistes, du parti et de l’Eglise, de la faucille, du marteau et du goupillon. La révolution manquée ou étranglée est jugée, et condamnée, par ceux qui avaient tout à craindre de sa réussite, et par ceux qui serrèrent le garrot. Les causes perdues sont les seules qui vaillent que l’on se batte pour elles. Nous ne devons aucune loyauté aux vainqueurs, aucun respect aux «gagnants», et n’avons à leur obéir qu’avec la ferme intention de les trahir et le constant sentiment de les mépriser. Seul·es les perdant·es peuvent être magnifiques. Commémorer, c’est embaumer. Nous ne commémorons pas la Commune, nous la célébrons.
Il y a des colères, multiples. Mais une colère sans projet n’est qu’un spasme. C’est déjà autre chose que n’en proposent les progressismes encore en état de proposer quelque chose. «La vraie question n’est pas de savoir pourquoi les gens se révoltent, mais pourquoi ils ne se révoltent pas», résumait Wilhelm Reich. Le temps, forcément, nous manque, et nous ne pouvons pas attendre. Ne pas attendre qu’on nous écoute pour parler, ne pas attendre qu’on nous comprenne pour expliquer, ne pas attendre d’être aimé·e pour aimer, ne pas attendre qu’on nous suive pour agir, ne pas attendre d’avoir tout prêt, sous la main, complet et définitif, le modèle de la nouvelle société, pour se défaire de l’ancienne.
Ce qui, depuis 1871, se résume en trois mots qui nous font toujours slogan: Vive la Commune!
Notes
Notre chroniqueur est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.