Une fonction presque «parentale»?
Novembre 2020, un requérant d’asile mineur non accompagné (RMNA) afghan entre dans mon bureau. Nous nous rencontrons pour la première fois. Il a déposé une demande d’asile en Suisse quelques jours auparavant. J’essaye de lui apporter un peu de chaleur face aux montagnes enneigées avec mon sourire, mon regard et ma bienveillance. Quand on ne parle pas la même langue, la communication non verbale est fondamentale. Je connecte le haut-parleur et l’interprète lui traduit mes mots. «Je m’appelle Sofia, je suis la juriste qui va t’accompagner pendant ta procédure d’asile. Je suis également ta personne de confiance ici.» Ses yeux écarquillés expriment son incompréhension.
Je ne peux le lui reprocher. Même pour nous, représentant·es juridiques, cette double casquette est parfois difficile à cerner. Je lui explique: «Tu as déposé une demande d’asile en Suisse. Tu seras alors, tout au long de ta procédure, hébergé ici, au centre de Boudry. Pendant tout ce temps, je serai ton soutien. D’une part, je suis là pour faire en sorte que ta procédure se passe au mieux. Je vais souvent te rencontrer pour t’expliquer toutes les étapes. D’autre part, si tu as besoin de parler, si tu as des soucis ou des bonnes nouvelles, tu peux venir quand tu veux. Si tu as des problèmes au centre, n’importe lesquels, n’hésite pas à venir chez Caritas.» Après un timide sourire, je lui demande s’il a des questions. Il hésite puis, après quelques secondes, m’assaille.
Toutes les questions que ce jeune m’a posées ont réellement mis mon rôle de personne de confiance – ainsi que ma propre confiance – à rude épreuve. En lui répondant, je me rends compte que ma disponibilité est limitée. En réalité, je le convoquerai à des rendez-vous. S’il souhaite venir spontanément dans nos locaux, il sera reçu à notre permanence Caritas, tenue quotidiennement par les conseillers·ères du VSJF (Union suisse des comités d’entraide juive). Il me demande si je peux lui rendre visite au centre et si nous aurons des activités ensemble. Je lui explique le règlement du centre. En réalité, je dois demander l’autorisation au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), dans un délai raisonnable, pour le rencontrer dans une salle dans l’hébergement. Pour les cours de français, je le réfère aux éducateurs·trices présent·es dans l’hébergement, qui organisent le calendrier des activités quotidiennes des mineur·es.
En lui répondant, quelque chose me frappe. Mon rôle de juriste, je connais. Les conventions et lignes directrices concernant les mineur·es, je les ai sur mon bureau. La jurisprudence internationale et nationale sur les mineur·es en matière d’asile, je l’ai lue. Les arrêts de principe du Tribunal administratif fédéral sur les règles de l’art pour auditionner un·e RMNA ou sur la détermination de l’âge, je pourrais les citer les yeux fermés. Mais mon rôle de personne de confiance est toujours en développement.
A Boudry, nous l’exerçons depuis le 1er mars 2019, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’asile (LAsi). Quelques mois plus tard, les premiers·ères RMNA sont arrivé·es au centre. Les procédures d’asile dites «prioritaires» dans la procédure accélérée ont alors débuté. En effet, l’art. 17 LAsi dispose que les demandes d’asile des mineur·es non accompagnées doivent être traitées en priorité. Toutefois, l’ordonnance sur l’asile 1 (OA 1), la doctrine et les termes de notre mandat indiquent que la personne de confiance doit prendre les mesures pour assurer le bien-être de l’enfant et s’acquitter des tâches liées notamment à la santé et à l’hébergement. Dès lors, je me demande encore comment créer un lien avec des mineur·es, les représenter juridiquement et également veiller à leur bien-être aussi rapidement. Pouvoir leur apporter un réel soutien à côté du volet purement juridique est notre leitmotiv, mais c’est sans compter les diverses limitations liées aux délais cadencés, à la structure et à la procédure en tant que telle. Dans sa prise de position de septembre 2020, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés indique «qu’en collaboration avec les éducatrices et les éducateurs sociaux [du CFA], [les personnes de confiance] exercent en quelque sorte une fonction parentale.» A l’heure actuelle, nous en sommes encore loin. Avec la pratique, une clarification plus concrète de notre rôle au niveau fédéral, et aussi une collaboration plus fluide avec nos partenaires du CFA, nous espérons pouvoir alors relever ce défi.
Sofia Amazzough est responsable de la représentation juridique des requérants d’asile par Caritas Suisse en Suisse romande, sur mandat de la Confédération. Au Tessin et en Suisse centrale, ce mandat est mené en collaboration avec SOS Ticino.