Option Zéro Covid ?
Les amateurs de tennis se seront peut-être émerveillés devant les gradins remplis de supporters sans masques de l’Open d’Australie. Une image comme tirée d’un autre temps, où le virus ne planait pas sur la moindre manifestation publique. Certes, l’illusion du monde d’avant n’aura tenu qu’une semaine, avant que l’apparition du variant anglais dans un hôtel de quarantaine ne reconfine strictement Melbourne pendant cinq jours. Mais depuis, pas d’explosion des cas, pas de surcharge des hôpitaux, pas même un soubresaut épidémique. La chaîne de transmission ne s’est pas enclenchée. Alors qu’en Suisse on rouvre à peine les magasins, la capitale australienne revit, sans restrictions.
Résultat à la hauteur
Cette stratégie a un nom: «Zero Covid». Si elle ne prétend pas éradiquer le virus, elle a pour but de limiter au maximum son niveau de circulation. Au moindre cas détecté, la réponse sanitaire maximale est déclenchée. Elle prend la forme d’un confinement total à l’échelle d’une ville ou d’un Etat. En dehors de ces épisodes d’urgence, la vie suit son cours: écoles, restaurants, lieux culturels et sportifs, tout fonctionne normalement. Et force est de constater que le résultat sanitaire est à la hauteur: l’Australie déplore quelque 900 décès dus au Covid depuis le début de la pandémie. C’est dix fois moins que la Suisse, pour une population près de trois fois plus grande.
Vaccination mise à mal?
L’émergence et la rapide progression de plusieurs variants ont ébranlé la certitude de trouver dans une campagne de vaccination massive le remède miracle à la pandémie mondiale. Preuve en est le retrait du vaccin AstraZeneca en Afrique du Sud après que de tests ont révélé que celui-ci n’était efficace qu’à 10,4% contre le variant majoritaire dans ce pays. Les résultats s’avèrent moins décevants contre le variant B.1.1.7 (dit britannique): si les principaux laboratoires (Moderna, Pfizer, AstraZeneca) constatent tous une baisse d’efficacité contre cette forme du virus, elle concerne le plus souvent les formes asymptomatiques. Leurs produits devraient donc pour le moins permettre d’éviter les formes graves ou létales.
Les laboratoires travaillent cependant à adapter leurs produits. Les vaccins à ARN comme celui de Pfizer et Moderna seront sans doute les plus rapides. Mais même eux n’arriveront pas à une nouvelle formule commercialisable avant l’automne. Avec le risque de voir émerger de nouveaux variants dans l’intervalle, à la faveur de la circulation encore massive du virus et de la pression sélective induite par la vaccination. MJT
Ce bilan a de quoi faire rêver alors qu’ici seuls les musées – avec port du masque obligatoire –, les lieux de loisirs extérieurs ou encore les magasins ont obtenu leur ticket pour la réouverture. Au poids économique des mesures s’ajoutent les conséquences lourdes sur le moral de la population. La Suisse, comme la majorité de l’Europe, mise sur une réponse sanitaire graduée, qu’on renforce ou relâche en fonction de l’évolution des indicateurs. Mais certains spécialistes alertent: cette stratégie pourrait être mise à mal par les variants porteurs d’une mutation qui augmente leur transmissibilité – variants appelés couramment britannique, sud-africain et brésilien. Leur contagiosité accrue fait craindre l’émergence d’une troisième vague.
Quel modèle pour la Suisse?
Il est toujours vertueux de jeter un œil chez les voisins, et le professeur Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’université de Genève, s’y est essayé dans son dernier ouvrage1>Covid, le bal masqué, Antoine Flahault, éditions Dunod, 2020. S’il se refuse à pointer du doigt les mauvais élèves, il relève que «les pays qui s’en sortent le mieux, y compris en Europe, ne sont pas dans une stratégie de ‘stop and go’ qui, par définition, consiste à courir après une épidémie plutôt qu’essayer de la devancer». Il estime qu’un débat devrait aujourd’hui avoir lieu sur l’objectif des politiques sanitaires nationales. «Soit on reste dans une méthode réactive, on rouvre progressivement, tout en sachant que l’on s’expose à une remontée des cas et qu’il faudra alors refermer. C’est la stratégie qu’on applique aujourd’hui, mais elle est à mon avis épuisante pour le moral de la population. Soit on adopte une stratégie de type ‘zéro Covid’, et dans ce cas il faut définir la limite acceptable de circulation du virus. Aujourd’hui en Suisse, elle est fixée à 4,3 cas quotidiens pour 100 000 habitants. Dans cette optique, tant que cet objectif n’est pas atteint, on ne relâche pas les mesures restrictives. En revanche une fois passé en ‘zone verte’, tout peut rouvrir.»
«Il ne faut pas voir la stratégie zéro Covid comme étant plus restrictive que les autres» Antoine Flahault
L’Australie, comme la Nouvelle-Zélande ou l’Islande, ont choisi cette dernière option. A la clé, un succès sanitaire, mais aussi économique et social. Mais ce n’est pas un hasard si toutes trois sont des îles. Car cette solution repose sur un strict contrôle des frontières entre les zones dites vertes, où la circulation du virus est en-dessous du seuil fixé, et les zones dans le rouge. Evidemment plus simple lorsque l’on peut appliquer strictement ces consignes sur son territoire national, et imposer de strictes quarantaines aux arrivants de l’extérieur. «La Suisse ne peut pas appliquer seule cette stratégie, mais elle ferait sens à l’échelle de l’espace Schengen», estime le professeur Flahault.
Triade gagnante
Les trois ingrédients phares de l’objectif zéro Covid sont connus: tests, traçage et isolement. Trois domaines dans lesquels la Suisse pourrait faire des progrès: «Si l’on veut dépister plus systématiquement, et pas seulement faire du diagnostic, on doit généraliser l’usage des tests salivaires et des tests rapides antigéniques dans une stratégie de tests répétés, explique Antoine Flahault. On pourrait viser des groupes particuliers dans les écoles, les EMS ou encore les entreprises.» Concernant l’isolement des contacts, le spécialiste regrette qu’«en Europe, on fasse essentiellement du traçage prospectif», c’est-à-dire rechercher et isoler les personnes potentiellement contaminées par un cas avéré, sans chercher à identifier la source. Car les découvertes sur le fonctionnement du virus montrent que la dispersion du Covid-19 se fait essentiellement par des «super-propagateurs», à peine 10 à 20% des cas positifs, qui se retrouvent dans des lieux clos, bondés, durant un laps de temps prolongé. En d’autres termes, en partant d’un cas positif, il y a plus d’intérêt à rechercher l’origine de sa contamination (lieu et personnes de contact) qu’à isoler les gens qu’il a lui-même fréquentés a posteriori.
«Il ne faut pas voir la stratégie zéro Covid comme étant plus restrictive que les autres. Au contraire, elle vise à libérer la population dans sa vie sociale et économique de façon plus durable. Mais pour ça, il faut se qualifier en zone verte.» Pas d’actualité pour la Suisse pour l’instant qui, bien loin du seuil des 4,3 cas quotidiens par 100 000 habitants, entame son déconfinement. «La stratégie aujourd’hui semble plutôt être de rester dans le ‘stop and go’ jusqu’à ce que la vaccination prenne le relais. Et ce n’est pas forcément un mauvais choix en soi. Mais il doit être explicité si tel est le cas», conclut Antoine Flahault.
Avancée à couvert des variants
En Suisse, on observe depuis la fin décembre une décrue qui semble se stabiliser actuellement autour de 1000 nouveaux cas par jour. Pas de quoi rasséréner Claude-Alexandre Gustave, biologiste médical rattaché au Centre international de recherche en infectiologie de Lyon: «Le nombre de cas dépistés semble stable ou en décrue dans plusieurs pays européens, malgré l’identification de cas associés aux variants. Cela peut sembler rassurant, mais c’est une situation en trompe-l’œil. Quand on décompose les cas en fonction des variants, on constate que la régression est limitée aux anciennes lignées virales. Tandis que les nouveaux variants ne cessent de progresser, ce qui confirme leur transmissibilité accrue.»
Une tendance mise en lumière par l’étude de l’Institut de médecine sociale et préventive (ISPM) de l’université de Berne. Le variant B.1.1.7 (appelé à tort variant britannique) représenterait déjà 61% des cas en Suisse. A Genève, il atteindrait même 86% des contaminations. Une situation qui n’est pas inquiétante pour l’instant, estime Manuel Schibler, médecin adjoint du Service des maladies infectieuses des Hôpitaux universitaires de Genève: «Malgré la progression des variants plus transmissibles, nous n’observons pas pour l’instant d’augmentation des cas. On peut donc estimer que les mesures en place actuellement sont suffisantes pour contrôler la situation.» Est-ce pour autant raisonnable de les assouplir? «Il faut aussi compter sur la vaccination, relativise le médecin. Je ne crois pas que le déconfinement progressif prévu, couplé à une politique de vaccination et au retour du printemps, nous conduise vers une troisième vague.»
Un avis que ne partage pas Claude-Alexandre Gustave, considérant que «la détection des contaminations est entachée d’un retard incompressible de six à vingt jours sur la date réelle des contaminations2>Un calcul qui comprend le temps de l’apparition des symptômes, de la réalisation et du résultat du test et de l’intégration aux bases de données.. Courir après les foyers d’infection ou bien attendre l’identification de cas confirmés comme liés aux nouveaux variants est vain pour limiter leur extension.» Le chercheur estime que seule une stratégie s’attelant à limiter bien plus drastiquement la circulation du virus serait susceptible d’empêcher un nouveau boum épidémique (lire ci-dessus). MJT
Notes