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Une arrogance occidentale mortifère?

En gérant autrement le contrôle de la pandémie, les puissances occidentales auraient-elles pu éviter des dizaines de milliers de morts? Alison Katz propose un éclairage sur la base de diverses analyses – dont le livre Planète malade de Michel Collon.
Une arrogance occidentale mortifère?
Avec plus de 120 000 décès liés au Covid-19 à la fin février, le Royaume-Uni affiche l’un des taux de mortalité les plus élevés de la planète; arrivée d’un patient à l’Hôpital royal de Londres, 13 février 2021. KEYSTONE
Covid-19

L’échec spectaculaire de nombreux pays riches, notamment ceux d’Europe occidentale et les Etats-Unis, à contrôler la pandémie de Covid-19 a pris le monde par surprise. Tout comme, en parallèle, la réussite notable en la matière de plusieurs pays à bas et moyen revenus – et d’une poignée de pays riches. Ces différences frappantes en termes de performance sont à explorer dans un esprit de transparence et de coopération.

En mai 2020, le rédacteur en chef de la revue scientifique The Lancet, Richard Horton, déclarait: «Du point de vue de la science et de la réponse de santé publique, les critiques vis-à-vis de la Chine et de l’Organisation mondiale de la santé sont totalement injustes (…). Cette arrogance est responsable de dizaines de milliers de morts. Ces décès ont été provoqués par un virus, mais ils ont aussi été causés par un orgueil d’exceptionnalisme occidental».1>Richard Horton, The Covid 19 catastrophe. What’s gone wrong and how to stop it happening again, Polity Press, Cambridge, Mai 2020. Une évaluation comparative des réponses des pays, récemment publiée dans le livre Planète malade2>Michel Collon, Planète malade, Investig’Action 2020. 2 volumes, Enquête et entretiens avec 41 professionnels de la santé, syndicalistes, journalistes, politiciens, chercheurs, dont Rafael Correa, Hervé Kempf, Noam Chomsky, Eric Toussaint, Jean Ziegler. du journaliste belge Michel Collon, conforte le verdict sévère de Horton. Cependant, le débat va bien au-delà de l’arrogance occidentale et de la dénonciation de quelques mesures d’austérité. Les preuves fournies dans cette nouvelle publication confrontent les lecteurs à la question essentielle de la compatibilité du capitalisme avec le droit à la santé.

Horton qualifie l’insuffisance de la réponse occidentale du pire échec en matière de politique scientifique en une génération. C’est inexact. La science a répondu présente, tout comme les scientifiques et des politiques scientifiques de poids, observe Michel Collon. Mais les gouvernements les ont ignorés. Plus qu’un échec en matière de politique scientifique, la réponse occidentale a été un échec politique et – comme il est désormais avéré – un désastre économique.

Pendant l’année 2020, observe Collon, «le public s’est retrouvé entre un discours médiatique qui refusait de critiquer le pouvoir et un discours complotiste qui niait la science et le danger». De fait, les citoyens auraient dû pouvoir être traités en adultes capables de se faire une opinion – à condition de disposer d’informations fiables –, en gardant en tête qu’en ce qui concerne la réponse au Covid-19, l’enjeu réside dans les systèmes de santé au sens le plus large du terme.

Quelques chiffres. Au mois de juin 2020, la Belgique détenait le triste record en Europe avec plus de 800 morts par million d’habitants, la France en était à plus de 450, l’Espagne au-dessus de 600, l’Italie un peu au-dessous, le Royaume-Uni à presque 700, les Etats-Unis approchaient les 500. En comparaison, les pays d’Extrême Orient ont compté des nombres de morts par million d’habitants environ cent fois inférieurs. Avec 3 par million pour la Chine, 8 par million pour le Japon, 6 par million pour la Corée du Sud et 3 morts pour 10 millions d’habitants pour Taiwan. Laissant de côté la question de l’origine de ce nouveau coronavirus (encore ouverte pour les scientifiques), les gouvernements européens auraient ainsi eu la possibilité de tirer des enseignements de pays aussi divers que le Vietnam, Taiwan, la Corée du Sud, la Nouvelle Zélande, le Kerala (Etat indien), le Venezuela, la République tchèque ou la Chine.

Chaque jour compte, en termes de milliers de vies sauvées – ou perdues. Le Vietnam, par exemple, a déclaré l’urgence nationale et introduit des restrictions le 23 janvier 2020, alors que seulement deux infections avaient été identifiées dans le pays.3>Au 23 février 2021, le Vietnam comptait 2392 infections et 35 décès (Worldometers).Taiwan a lancé le dépistage dans ses aéroports le 9 janvier 2020. Le Kerala indien a quant à lui introduit des mesures d’urgence le 19 janvier 2020, avant que ne soit déclaré un seul cas d’infection. Trois jours après la déclaration par l’OMS de l’urgence de santé publique internationale, la Nouvelle-Zélande introduisait des mesures de prévention. Son premier cas ayant été identifié le 28 février, le pays a initié la phase maximale 4 le 25 mars, soit moins d’un mois plus tard. En contraste, le Royaume-Uni, qui enregistrait son premier cas le 31 janvier 2020, a attendu presque deux mois, le 23 mars, pour introduire les premières mesures de distanciation sociale. L’Allemagne, qui a riposté 14 jours avant le Royaume-Uni et la France, a enregistré nettement moins de décès.

Après 17 décès, le 23 janvier 2020, la Chine a verrouillé la ville de Wuhan et, le 24 janvier, soit la veille du Nouvel An chinois, toute la province de Hubei (58 millions de personnes). Par contre, ce n’est qu’après 175 décès que la France a finalement imposé un confinement, le 17 mars. Le président Macron a maintenu les élections municipales du 15 mars en pleine explosion du virus. Si la France avait initié le confinement le 7 mars – dix jours plus tôt – il y aurait eu quelques milliers de morts au lieu des 30 000 à 40 000 décès déjà accumulés en juin 2020.

Riposte occidentale tardive et «light»

«Les autorités chinoises n’ont pas juste promu le lavage des mains, les convenances d’usage en cas de toux et l’élimination des mouchoirs en papier; elles ont mis en quarantaine des villes entières et verrouillé l’économie». Le rédacteur en chef de The Lancet a dénoncé le manque de sérieux de son gouvernement face au Covid 19. Mais le Royaume-Uni n’était pas le seul pays à riposter de manière inadéquate, comme en témoigne Planète malade.

Ils ont fait quoi, alors, ces pays qui ont réussi? Au-delà de l’arrêt de toute activité non essentielle, des gestes barrières et de la distanciation sociale, ils ont mis en place la détection précoce avec contrôle de température dans les espaces publics, le dépistage et le traçage massifs (jusqu’à 200 contacts par cas au Venezuela), l’isolement des personnes gravement malades et des personnes avec symptômes légers, la mobilisation des ressources sanitaires (40 000 professionnel·le·s de la santé sont venus du reste de la Chine à Hubei), les soins intensifs pour tous ceux qui en avaient besoin, le soutien social et économique, y compris la livraison de nourriture aux ménages confinés, et une information publique encourageant la confiance et la coopération.

En février 2020, la Mission conjointe OMS-Chine avait montré au monde que l’épidémie pourrait être interrompue, voire stoppée, en l’absence de vaccin et de traitement efficace. En Chine, 85% des décès étaient limités à Wuhan et 97% à la province d’Hubei, le reste du pays étant plus ou moins épargné. En mars, il n’y avait quasiment plus d’infections et, au début d’avril, l’économie chinoise redémarrait.

«La Chine a acheté du temps pour l’Occident mais l’Occident l’a gaspillé.» Fin connaisseur de la Chine, Ian Johnson comparait dans le New York Times le sérieux chinois et l’amateurisme européen. En outre, les accusations de retard à l’adresse de la Chine et de l’OMS exigent des clarifications4>Les premiers cas en Chine ont été répertoriés fin novembre 2019 alors que l’agent pathogène n’avait pas encore été identifié.. Jamais a-t-on communiqué aussi rapidement sur un nouveau virus: Le 27 décembre, deux cas de pneumonie atypique sont signalés aux autorités sanitaires chinoises; le 31 décembre, la Chine en informe l’OMS; le 10 janvier 2020, l’OMS met en ligne les directives techniques et la Chine publie en ligne la séquence du génome; le 14 janvier, l’OMS annonce le risque d’une épidémie à grande échelle et une possible transmission interhumaine. En ne tirant aucun enseignement de la Chine, presque deux mois ont été perdus. Incroyablement, la tragédie en Italie – et le scandale de 50 médecins morts par manque d’équipement de protection – n’a pas non plus déclenché l’action nécessaire. Encore deux semaines – et combien de vies? – perdues.

Les gouvernements occidentaux étaient en compétition les uns contre les autres pour sauver les économies nationales en retardant au maximum l’introduction de restrictions. De façon ironique, si l’objectif est un confinement court et un redémarrage rapide de l’économie, le report des mesures à appliquer est la pire des stratégies. Il s’agissait de stopper la propagation et non la ralentir – en se préparant à la prochaine vague.

Un risque décrit «noir sur blanc»

L’Occident a-t-il été pris par surprise? Absolument pas. Tout était prévu et annoncé. En effet, depuis l’épidémie de SRAS en 2003, les immunologues, virologues, grandes revues médicales, et même les services de renseignements français et étatsuniens avertissaient solennellement: préparez en quantité les masques, les tests, les respirateurs et surtout un grand plan de bataille. Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS [Centre national de la recherche scientifique], en France, se souvient: «Nous avions décrit noir sur blanc le risque émergent qui pourrait mettre la pagaille.» Pourtant, les recherches européennes, y compris celles du CNRS, ont été arrêtées en 2006. Pas moins de 14 ans de recherche et développement portant sur des traitements et des vaccins étaient ainsi perdus.

Dans les années à venir, il va falloir enquêter sur tous les facteurs contribuant aux réussites et aux échecs dans le contrôle du Covid-19. Avec les éléments en main, il semble difficile de nier que les pays dotés de systèmes de santé financés et maintenus correctement, offrant des services universels et globaux, de préférence gratuits (soins de santé primaires), ont bien réussi, quand des pays ne bénéficiant pas de tels systèmes ont échoué. Pendant que l’Occident démantelait ses systèmes sanitaires et détruisait ses stocks d’équipements, la Chine investissait massivement en professionnels de la santé, en formation et en infrastructures (24 000 hôpitaux en 2013 et 33 000 en 2018).

Mais c’est quoi au juste les soins de santé primaires, si ce n’est pas du socialisme? Les témoignages dans le livre de Collon confirment l’impérieuse nécessité d’une approche de la santé basée sur la justice sociale, priorisant les services publics afin de subvenir aux besoins sanitaires fondamentaux des populations. Le capitalisme, avec ses inévitables et interminables guerres de ressources, produit des ravages environnementaux et donc sanitaires. La survie dépendra de l’écosocialisme et du contrôle local ou national des ressources et de la – vraie – coopération entre pays.

Pendant cette crise, qui a maintenu le monde à flot? Les travailleurs et travailleuses, dont la plupart n’ont pas le luxe du télétravail. Dans les pays qui ont bien réussi, on s’est occupé des familles à travers des visites à domicile par des équipes de terrain. Et que dire de la solidarité internationale, voire européenne? Quels pays sont venus aider les Italiens? La Chine et le Cuba. A méditer.

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