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Une initiative inutile, dangereuse et discriminatoire

S’exprimant sur les contradictions des milieux progressistes face à l’initiative dite «anti-burka», des socialistes genevois jugent que la gauche n’a «aucun avantage à espérer» d’un tel projet.
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En règle générale, il semble assez évident où situer l’avis de la gauche et où placer l’opinion de la droite en Suisse à propos d’un objet de votation. S’agissant de l’initiative pour une «interdiction de se dissimuler le visage», il semblerait à première vue que proscrire l’imposition d’un niqab à une femme est un refus de l’oppression de la femme. A ce titre, cela correspondrait à une revendication de la gauche même si la proposition est amenée par des initiants d’extrême-droite, en l’occurrence l’UDC. Qu’en est-il réellement dans le cas d’espèce? Formulons quelques questions simples et essayons d’y donner des réponses pour y voir plus clair.

Faut-il pour la gauche prendre position contre l’oppression des femmes (musulmanes, juives, chrétiennes, etc.)? Faut-il pour la gauche prendre position contre l’oppression des femmes (musulmanes, juives, chrétiennes, etc.) qui consiste, entre autres choses, en l’obligation de porter le niqab? Oui. Le Groupe d’Egerkingen et l’extrême-droite en général ont-ils le droit de prendre une telle position? Oui. Leur initiative aura-t-elle un effet favorable, si infime soit-il, sur l’oppression des femmes? Non. Malheureusement, nonobstant l’espoir que formulent certains sur le fait qu’une acceptation donnerait un bon signal. En effet, malgré ce que revendiquent les initiants, leur argumentaire ne met en avant aucune position de principe contre les oppressions et les discriminations, ni ne fait aucune proposition pour les réduire.

L’initiative n’interdit pas l’imposition du port du niqab. L’initiative interdit le port du niqab. Ce faisant, elle fait fi de la volonté des femmes qui choisissent de porter le niqab. Elle interdit un vêtement. Ainsi, elle prescrit à certaines personnes comment s’habiller, ce qui est difficilement conciliable avec une position contre l’oppression. C’est pour cette raison que beaucoup, à gauche, à l’instar du Collectif de la Grève féministe et des Foulards violets, dénoncent la marque du patriarcat dans cette initiative, un mépris de l’agentivité des femmes concernées et de leur droit à disposer de leur corps. Les initiants affirment qu’ils sont contre «l’extrémisme» sans rien proposer contre les extrémistes, pas même contre les hommes qui imposent le niqab à leurs femmes. Au lieu de cela, ils proposent d’infantiliser encore plus les femmes opprimées et opprimer les musulmanes libres qui veulent porter le niqab.

Mais surtout, en dépit du symbole contre l’oppression que veulent y voir certain·e·s musulman·e·s, quelques féministes et une partie de la gauche, l’acceptation de l’initiative serait désastreuse pour la tolérance et la liberté en Suisse. C’est bien sûr précisément ce que souhaitent les promoteurs de cette proposition, comme ils l’ont déjà voulu avec l’interdiction des minarets. Des gens un peu incertains, qui se sentent mal à l’aise avec la présence de personnes – en particulier de femmes – d’autres cultures en Suisse, se sentiront désormais légitimés à les rejeter. Des individus hostiles aux musulmans, qui à cause du politiquement correct se cachent aujourd’hui, y verront une justification de leur attitude et s’exprimeront plus librement.

On mentionne aussi, en faveur de l’initiative, qu’elle empêcherait des casseurs lors de manifestations de se cacher et ainsi d’échapper à la police. Nous répondons à cela que de telles interdictions sont déjà appliquées par la plupart des cantons. Connaissant son fédéralisme acharné par ailleurs, l’UDC n’est pas crédible quand elle exige des prérogatives supplémentaires pour Berne. On comprend ainsi clairement, à l’instar de l’utilisation risible de l’«extrémisme» comme argument en faveur de l’initiative, qu’il ne s’agit que d’un prétexte pour faire triompher le vrai objectif des initiants, qui n’ose pas dire son nom: davantage d’exclusion, donc davantage de votes pour l’extrême-droite.

En résumé, nous constatons qu’il n’y a, du point de vue de la gauche, aucun avantage à espérer de cette initiative, mais seulement une augmentation dangereuse de la xénophobie, du sexisme et de l’exclusion.

Gabriel BARTA, Beatriz PREMAZZI, Emmanuel DEONNA, Ibrahima GUISSÉ, Jean-Marie MELLANA

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