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Des enjeux pour la société et son agriculture

Le vigneron genevois Yves Batardon s’exprime en faveur de l’initiative pour la responsabilité environnementale, de passage aux urnes le 9 février.
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L’initiative pour la responsabilité environnementale paraîtra à certain·es comme une utopie de doux rêveur. Pourtant, face aux courbes exponentielles de la trajectoire du dépassement des limites planétaires de la Suisse, les efforts avancés par la Confédération sont insignifiants. Au vu de cette situation irréfutable, l’utopie serait de croire qu’il suffit de compter sur les éléments de langage brandis par les opposants au cours de leur campagne – «économie robuste, durable, transition» – pour se dégager des projections scientifiques du futur. Prétendre que nous sommes sur la bonne voie est fallacieux et ne repose sur aucun élément tangible. Les détracteurs de l’initiative révèrent un modèle économique intenable; la seule piste à laquelle ils s’accrochent, c’est l’adaptation aux crises.

Une approche identique nous a mené·es dans d’autres circonstances aux crises de l’UBS en 2008, jusqu’à celle de Credit Suisse, gérée de façon autoritaire et hors de tout contrôle. Entre ces deux faillites virtuelles, quinze ans se sont écoulés sans que les causes de ces crises ne soient remises en question. Il serait souhaitable de ne pas reproduire ces pratiques délétères avec la nature, car il ne sera pas possible de négocier ou d’obtenir de délais à la prochaine catastrophe. Notre environnement n’a pas de prix pour ceux qui la dégradent, c’est là le cœur du problème!

Cela doit nous interroger, nous entraîner avec curiosité à transformer nos pensées, afin de mesurer où nous en sommes et comment faire pour changer de récit. En 1972 déjà, Jacques Piccard annonçait la situation présente. Il présentait à la TSR les solutions proposées par le Club de Rome pour répondre aux enjeux environnementaux. Au journaliste lui rétorquant que ces solutions étaient impossibles à appliquer, M. Piccard répondit que «penser ainsi représentait tous les dangers pour notre avenir». Le changement est encore possible, mais il est inconcevable pour beaucoup de nos élites de l’appliquer. Nos élu·es seraient pourtant bien inspiré·es de remettre en cause les choix ayant conduit aux dysfonctionnements actuels. Car la réalité c’est: changer pour pouvoir nous adapter, et non l’inverse.

Cela demandera des efforts et du temps. Alors pourquoi attendre? Il s’agit d’opter, en connaissance de cause, pour des changements radicaux décidés en société ou subir les changements imposés par la nature. Voilà aujourd’hui l’alternative à cette initiative qui a pour but d’accompagner la société afin qu’elle évolue en tenant compte des limites planétaires. Le texte ne dit pas comment faire. Ce sera au législateur de définir les moyens d’y parvenir. Cette initiative doit nous permettre de nous questionner sur la sécurité, la paix sociale et la robustesse économique de la Suisse. Elle nous entraînera à définir avec discernement l’indispensable pour réduire le superflu afin de générer une société où le renoncement n’est pas une punition, mais la liberté de savoir renoncer pour aller dans le «bon sens». On peut reconnaître que l’initiative pour la responsabilité environnementale est un projet ambitieux et motivant, c’est aussi un défi social, économique et intergénérationnel.

Cette initiative nous permettra également de remettre sur la table la question de la responsabilité différenciée des différents secteurs impliqués dans les crises multiples que nous connaissons. Pensons à la finance et aux multinationales. Par ses opérations sur les marchés, la place financière suisse génère au moins quinze fois plus de CO2 par an que les émissions nationales. Quant aux entreprises de négoce ou d’extraction, les cinq plus importantes établies en Suisse génèrent 100 fois plus de CO2 que le reste de la Suisse, selon Public Eye.

Dans les faits, l’initiative, imaginée par des jeunes préoccupé·es par leur avenir, nous donne l’occasion de mettre en œuvre les changements indispensables pour le bien commun: un avenir souhaitable basé sur l’équité écologique, une gestion raisonnable de nos ressources et la conduite de notre développement, qui ne peut plus se réduire aux dysfonctionnements actuels de l’économie. Aujourd’hui, les entreprises vertueuses sont mises à mal par une compétition sans protections, sans équité. Nous sommes dans un modèle où les entreprises nocives font la loi, pillent et souillent la nature en exploitant les peuples. Il est essentiel d’inverser les rapports de force pour préserver notre société et son environnement.

Concernant l’agriculture, l’alimentation ne doit plus être considérée comme une marchandise. Elle ne doit pas être amputée de ce qui la génère, c’est-à-dire l’environnement. Aujourd’hui les paysan·nes sont soumis à une injonction paradoxale: prendre soin en étant compétitif. C’est intenable! Il est essentiel de reconnaître que l’agriculture est «essentielle», avec plus de fermes, des emplois valorisés, l’accueil de jeunes qui recherchent le lien à la terre. Quant à la nature, les sols sont épuisés et la biodiversité en danger. Il est indispensable de sortir de cette spirale destructrice.

Il est temps de valoriser l’agriculture paysanne afin d’assurer pour les générations futures une alimentation de qualité. Par cette initiative, il est demandé à l’agriculture de réguler l’utilisation des sols et des apports d’azote et de phosphore, une régulation appliquée depuis longtemps en Suisse avec les normes PER. L’initiative permettra de reconnaître l’efficience de ce qui a déjà été fait et de définir ce qu’il reste à accomplir. Par son volet social, elle permettra l’application de la souveraineté alimentaire et la transparence des marges – une économie agricole qui tiendra compte des limites environnementales. Cela permettra aux productions agricoles d’être rétribuées à leur juste valeur.

La compétition est une impasse. Notre responsabilité est de coopérer pour construire un avenir commun.

Yves Batardon est paysan vigneron à Soral (GE), membre du comité national Uniterre.