Une vague de pyromanie
Une nouvelle polémique vient de naître chez nos voisins français, lancée dimanche sur CNews, la Foxnews hexagonale. L’islamo-gauchisme gangrène-t-il les universités? Oui, estime la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche qui entend confier au CNRS (!) une enquête sur la question. Mardi, à l’Assemblée, elle pointait aussi du doigt les études postcoloniales.
La réponse a été cinglante: les présidents des universités réunis ont appelé la ministre à laisser l’islamo-gauchisme, cette «pseudo-notion», «aux animateurs de CNews» ou «à l’extrême droite qui l’a popularisée», tandis que le CNRS dénonçait «les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ‘race’».
Tentative de diversion d’une ministre peu présente sur les difficultés du corps enseignant en temps de pandémie ou celles des étudiant·e·s faisant entendre leur précarité fin janvier à Paris? Forme de chasse aux sorcières, plutôt, nourrie à la fois par le contexte d’adoption de la loi sur le séparatisme et une présidentielle approchant à grands pas. On sait combien les chercheurs sur l’islam sont observés à la loupe, en particulier quand ils ne sont pas Gilles Kepel mais Olivier Roy ou François Burgat. Combien l’islamo-gauchisme est devenu soupçonnable – de collusion avec l’ennemi, l’islamisme radical – au point qu’un sociologue dénonce un «néo-maccarthysme».
Citoyen·nes, député·es, associations: jusqu’ici, cette production sémantique aléatoire a servi à disqualifier (la gauche de) la gauche préoccupée de discriminations. Avec l’intervention de la ministre, elle étend son territoire à la recherche, qui régulièrement produit des analyses (sur les rapports sociaux de pouvoir, l’égalité des chances, la mémoire historique) contrant les puissantes manœuvres néolibérales destinées à défaire les fondements humanistes de notre démocratie. Et, à l’ère des fake news triomphantes, qui fournit des moyens de résistance intellectuelle. La suspicion exprimée par sa propre ministre de tutelle est de taille à ébranler profondément ceux-ci.
Lors de leur récent face-à-face, Gérald Darmanin qualifiait Marine Le Pen de «molle» face au «péril islamique». L’enjeu n’est donc pas seulement culturel, il est aussi politique: le «ni de droite ni de gauche» macronien de 2017 a vécu, et c’est la carte identitaire qui sera brandie pour la présidentielle de 2022. Quitte à prendre cinq millions de musulmans en tenailles d’une rhétorique boute-feu.