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Sucre et santé: une relation compliquée

À votre santé!

Le sucre rehausse le goût, équilibre les saveurs et révèle les arômes. Il permet la consommation d’aliments variés, en rééquilibrant par exemple l’acidité d’un fruit ou d’un yaourt. Apprécié dès la naissance, il contribue au plaisir alimentaire. Il fait partie intégrante de notre alimentation et ne doit donc pas être diabolisé. Pourtant, on sait qu’un excès d’apport sucré participe grandement à l’obésité et au diabète de type 2. On parle aussi de plus en plus de troubles psychiques liés à l’excès de sucre et même de tendance addictive. C’est pourquoi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a revu à la baisse en 2015 ses préconisations sur le sucre qui doit constituer, selon ses conseils, 5% des apports énergétiques quotidiens, c’est-à-dire l’équivalent de 25 grammes par jour.

En Suisse, pourtant, on en consomme entre cinq et sept fois plus et, ce qui est frappant, deux fois plus qu’en 1970. Cela correspond à l’augmentation depuis lors de la consommation de repas prépréparés: on consacre d’ailleurs en moyenne trois fois moins de temps pour préparer nos repas qu’il y a cinquante ans! Mais cela correspond aussi à l’explosion de la consommation des boissons sucrées industrialisées (sodas, thés froids et jus de fruits). L’OMS souligne d’ailleurs qu’une grande partie des sucres consommés aujourd’hui est «cachée» dans des aliments qui ne sont pas considérés comme des sucreries. Une cuillère à soupe de ketchup contient 4 grammes de sucre caché. Et une seule canette de soda peut contenir jusqu’à 40 grammes de sucre, soit près de deux fois la consommation totale journalière recommandée.

Cela a fait dire au vice-ministre de la Prévention et promotion de la santé du gouvernement du Mexique, Hugo López-Gatell Ramírez, en visite dans l’Etat du Chiapas (dans le sud du pays), que le Coca-Cola est «un poison en bouteille». Il faut dire que si le Mexique en est le plus gros consommateur par habitant du monde devant les Etats-Unis, le Chiapas détient un triste record national: chaque habitant boit en moyenne par jour 2,2 litres de boissons gazeuses – dont le marché est largement dominé par Coca-Cola – soit l’équivalent de 200 grammes de sucre (ou 800 calories)! Ce constat, franchement incroyable, est pourtant établi par une étude du Centre d’investigations multidisciplinaires sur la frontière sud et le Chiapas (CIMSUR) parue en 2019, et reprise par le Ministère de la santé mexicain. Les conséquences sont évidentes: le sud du Mexique a la palme du diabète de type 2 du pays. Selon des données officielles, 30% des mineurs y sont en surpoids – dont un tiers présente une obésité morbide – et cela concerne 70% des adultes. C’est d’autant plus paradoxal qu’un enfant mexicain de moins de 5 ans sur huit présente une dénutrition chronique et que cette proportion est plus élevée dans les Etats du sud dont le Chiapas, principalement dans les communautés indigènes rurales.

Comment en est-on arrivé là? L’étude du CIMSUR invoque la rareté de l’eau potable – vendue aussi cher que les boissons sucrées alors qu’elle est sans apport calorique! Ainsi, certains quartiers de San Cristóbal de las Casas, pourtant bien connue des touristes, n’ont de l’eau courante que quelques fois par semaine, alors que cette ville abrite la plus grande fabrique de Coca-Cola d’Amérique centrale qui mobilise 1,3 million de litres d’eau par jour que les habitants n’ont pas!

Cela montre que si la consommation de sucre excessive est un problème de santé publique, il n’est pas suffisant de faire de la promotion de la santé et de la prévention centrées sur les individus, mais qu’il faut avoir le courage politique de légiférer pour mieux contrôler tout le secteur de l’agro-alimentaire industriel. En Suisse, plutôt que de réautoriser l’utilisation des néocotinoïdes, très toxiques pour les abeilles, pour lutter contre la «jaunisse virale» qui a diminué les rendements de betterave pour beaucoup de producteurs, il serait probablement plus cohérent d’indemniser les paysans ponctuellement, d’envisager des techniques de production alternatives et de limiter l’utilisation du sucre dans l’industrie alimentaire: ce serait bon et pour la nature et pour la santé.
Cela sous-tend un changement de paradigme. N’est-ce pas ce que la pandémie de la Covid-19 nous apprend?

Notre chroniqueur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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