Édito

Marchandisation de l’état civil électronique

Marchandisation de l’état civil électronique
Lors d'une conférence de presse ce jeudi, Karin Keller-Sutter a présenté le projet d’identification électronique sur lequel les Suisses voteront le 7 mars. KEYSTONE
Identité numérique

«La procédure d’identification sur internet sera univoque, sûre et pratique», dixit la ministre de la Justice, Karin Keller-Sutter. La conseillère fédérale a défendu jeudi le projet d’identification électronique sur lequel le peuple votera le 7 mars.

Sur le fond, l’objet marque un progrès indubitable: face à la multiplication des logins, mots de passe et autres tentatives de sécuriser l’accès à certains achats ou prestations sur la Toile, l’identifiant unique (E-ID) fait sens. Il réduit notamment le risque de piratages. Là où le bât blesse, c’est que cette identité électronique est externalisée dans le cadre d’un partenariat public-privé.

Le désengagement de l’Etat en la matière, même s’il est partiel (le contrôle des sous-traitants restera en mains publiques), est incompréhensible. S’il est un domaine où l’autorité régalienne devrait aller de soi, c’est bien la gestion de cet état civil électronique qui sera tout de même la porte d’entrée vers la plupart des opérations administratives et commerciales courantes. L’argument que le privé serait plus performant en la matière traduit surtout l’idéologie néolibérale un peu obtuse de la ministre de la Justice.

Cela ouvre la porte à de multiples abus potentiels. Notamment un accès socialement inégal car tributaire des moyens financiers des usagers. Car le tout sera payant selon des modalités non dévoilées. On nous promet également que ces données ne seront pas utilisées à des fins marchandes. Mais on peut craindre au contraire – vu l’impuissance technique revendiquée par l’Etat – que cela ne durera qu’un temps. Cela a été le cas avec l’effondrement des utopies internet. En moins d’une décennie, les promoteurs d’une société basée sur les théories anarchistes et libérées des carcans de «l’Etat oppresseur» se sont mués en thénardiers avaricieux monopolisant des pompes à fric fonctionnant hors de tout contrôle.

Cette privatisation de la démocratie doit être stoppée – que se passera-t-il lorsque l’E-ID sera utilisée pour les votations à forts enjeux comme, au hasard, les avions de combat? Pourra-t-on cibler les votants à coup de pubs, comme lors des élections étasuniennes de 2016 sur les réseaux sociaux?

Il n’est nul besoin de se précipiter dans le piège que nous tend un Conseil fédéral peu inspiré et peu inspirant en la matière.

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